Champs de seigle

Quand j’avais 15 ans, j’ai remarqué le titre d’un des romans de la liste de lectures scolaires proposées cette année-là dans mon école. Il était question, dans la version espagnole, de seigle ou d’un champ de seigle, ce qui donnait à l’œuvre un avant-goût d’imprévisible qui n’était pas pour me déplaire. Le livre en lui-même était d’ailleurs surprenant parce qu’éloigné au possible de tout ce que j’avais vu jusque là. Une couverture blanche, un titre, point final. Pas d’image accrocheuse ou mystérieuse, pas de résumé de l’intrigue, pas de biographie de l’auteur, même succincte. D’ailleurs, mon dictionnaire des noms propres m’apprit bientôt que, sur l’auteur, il n’y avait rien à savoir. Point final aussi.

Il restait le roman, et c’est là que l’enchantement commençait. Les aventures d’un adolescent fugueur, ou leur absence, car les péripéties newyorkaises tournent court ou éclatent en conversations nocturnes lors des visites à des heures indues, étaient le prétexte au jaillissement d’une voix et d’un rythme soutenu, haché, entrecoupé d’hyperboles et de gros mots, à l’éclosion d’un imaginaire poétique centré sur l’enfance, la fragilité et le regret. Le tout sans la moindre sentimentalité et avec un grand sens de l’économie, projetant des zones d’ombre quand il le faut sur l’école et les familles compliquées. Le héros est toujours en mouvement ; il marche, soliloque, questionne, fuit. Son comportement est souvent inadapté par rapport à son entourage et cette inadéquation laisse apparaître, au lieu de réponses, une question essentielle : le deuil aurait-il justement besoin d’un rythme qui n’est pas celui de la vie quotidienne, d’un style qui serait propre à chacun, qui permettrait de retourner de temps en temps en toute liberté sans s’y égarer dans les maisons hantées de la mémoire ?

Il y a dans ce roman quelque chose que j’ai jusqu’à présent rarement rencontré dans une œuvre d’art : une impression de vérité absolue, de déjà vu. Accessoirement, le titre de ce livre m’a fait aussi découvrir la poésie de Robert Burns, mais cela est une autre histoire.

Gin a body

meet a body

Comin thro' the rye,

Gin a body

kiss a body,

Need a body cry?

28-01-02

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