Encyclopédies nouvelles

L’ancêtre des encyclopédies libres aurait pu être un écrivain castillan du XIVe siècle : Juan Ruiz, Archiprêtre de Hita, est l’auteur du Livre de bon amour, traité de l'art d’aimer subtile et ambigu, riche en mirages autobiographiques, qui s’achève par une invitation faite au lecteur d'améliorer ou poursuivre l'œuvre. (1) Le lecteur qui le souhaite - et qui connaît l’art d’écrire - peut ajouter des poèmes, des chapitres, ou même corriger le texte d‘origine. Il s’agit là d’une ouverture totale, sans la moindre censure. Le plus important reste la continuité, que le livre circule et qu’il soit lu. Le poète anonyme rejoint le lecteur anonyme. Pour les auteurs du Moyen Âge, la notion d’œuvre originale ou de propriété intellectuelle telle qu’on la connaît aujourd’hui n’avait aucun sens. (2) L’important, c’était de s’inscrire dans une chaîne de pensée dotée du prestige et de l’autorité des auteurs de l’Antiquité, d’écrire sur quelque chose que les lecteurs connaissaient déjà, sur une base sûre de savoirs et de traditions, et le talent de l’écrivain se mesurait alors dans son style, dans son interprétation de la mythologie et des légendes. Cette perspective se prolonge jusqu’au XVIIIe siècle, où le concept de droit d’auteur - aussi bien pour les œuvres artistiques que pour les activités industrielles-, apparaît dans le sillage d’une pensée qui reconnaît la singularité de l’individu et le caractère unique de l’œuvre.

L’évolution du Web a ajouté à la notion de propriété intellectuelle des caractéristiques universelles quasi médiévales, qui cohabitent avec des législations et des usages propres à chaque pays. Ainsi, nous assistons à la prolifération de textes apocryphes, de datations incertaines et de paraphrases, à la culture de l‘anonymat et au goût des pseudonymes. L’impossibilité pratique de collecter et de comparer tous les textes traitant d’un même sujet a longtemps permis le développement de cette culture virtuelle. Les encyclopédies participatives, dites aussi encyclopédies libres, sont les derniers avatars de ce mode d‘expression qui a réussi à cristalliser les aspects disparates d‘une œuvre collective et toujours changeante en un ensemble organisé et paradoxalement stable. Assez fiable sur un grand nombre de sujets, (3) Wikipédia devient subitement moins crédible dès que ses articles abordent des thèmes polémiques, susceptibles de ne contenir que des informations partisanes, biaisées ou de la propagande. Aujourd’hui, Wikipedia s’est dotée d’outils pour reconnaître les modifications, mais les contributions restent anonymes. Ce n’est évidemment pas assez pour améliorer la fiabilité des contenus. Si l’œuvre de l’Archiprêtre pouvait être poursuivie, c’est avant tout parce qu’elle s’adressait avant tout au petit nombre d’initiés et de savants qui pourraient être intéressés par une telle tâche. Il y avait un certain consensus à propos de ce qui était acceptable ou non dans une œuvre littéraire. Aujourd’hui, en revanche, il est très simple d’introduire des données ou des statistiques fausses dans un article, qui peut être indéfiniment modifié, sans qu’on sache qui a réalisé la modification. Cette personne, ou ces personnes possèdent-t-elles les connaissances suffisantes? S’agit-il d’un ignorant qui tire ses sources d’autres ignorants. S’agit-il d‘une publicité déguisée? La notion d’autorité et de légitimité de la connaissance est le problème central des encyclopédies libres.

Une autre variante de l’encyclopédie participative et gratuite est l’Encyclopédie de l’Agora. Créée en 1998, elle n’est pas aussi vaste que Wikipedia. On y retrouve des sources très diverses (articles de presse, actes de colloques scientifiques, interviews qu’on peut écouter, critiques littéraires…) On y trouve également beaucoup d’articles consacrés au Québec, en sciences humaines notamment.

Comment séparer le bon grain de l‘ivraie? Comment faire confiance aux encyclopédies libres? La clé se trouve dans la lecture critique. La comparaison entre diverses sources devient nécessaire. Aussi, il faut se méfier des chiffres et des statistiques et de toute affirmation ou théorie scientifique qui ne cite pas ses sources. Ces données ne sont pas forcément fausses, mais c’est toujours important de les vérifier. L’usage des encyclopédies participatives peut être très enrichissant pour le lecteur qui sait s’entourer de quelques précautions. Car les encyclopédies en ligne offrent de nombreux avantages sur les encyclopédies en papier, parmi lesquels les possibilités de correction et d’actualisation de données quasiment en temps réel.

L’avenir

Si les encyclopédies participatives sont souvent mises en cause, leur succès ne semble pas s’essouffler, bien au contraire, elles font des émules, car les encyclopédies traditionnelles n’entendent pas rester en dehors de cette dynamique. (4) Ainsi, Larousse vient de lancer sa première « encyclopédie contributive » sur Internet. On y retrouve les articles de la version papier du dictionnaire Larousse et on ajoute des articles écrits par des internautes, mais ceux-ci doivent les signer. Les genres ne sont plus mélangés. Aussi, Google prétend concurrencer Wikipedia en lançant Knol, outil permettant de rassembler les connaissances des internautes; les auteurs ds articles seraient identifiés, comme dans le projet de l’encyclopédie Larousse, et ils pourraient inclure des publicités dans leurs textes. Dans tous le cas, les utilisateurs auront le dernier mot en préférant un site à un autre, ou en plébiscitant un mode de fonctionnement. Il faudra attendre.


(1) Qualquier omen, que lo oya, si bien trovar sopiere,


puede más y añadir et emendar si quisiere,


ande de mano en mano a quienquier quel' pidiere,


como pella a las dueñas tómelo quien podiere.



Une version du Libro de buen amor est disponible sur le site Cervantes virtual

http://www.cervantesvirtual.com/servlet/SirveObras/246616...


(2) La première loi reconnaissant le droit d’auteur est le britannique Statute of Anne, qui date de 1710.

http://www.yale.edu/lawweb/avalon/eurodocs/anne_1710.htm


(3) Wikipedia est une encyclopédie construite par les internautes « que chacun peut modifier » qui contient de nombreux articles en plus de 250 langues (plus de 600.000 en français). Malgré les nombreuses critiques, Wikipedia reste l’un des sites les plus visités des internautes du monde entier. En 2005, une étude proposée par la revue ‘Nature’ montrait que Wikipedia pouvait se révéler presque aussi fiable que la vénérable et prestigieuse Encyclopaedia Britannica, qui a par ailleurs contesté la méthode et les résultats de cette étude.

http://news.bbc.co.uk/1/hi/technology/4530930.stm


(4)

http://agora.qc.ca/

http://fr.wikipedia.org/

http://www.larousse.fr/

http://knolstuff.com/

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