Segantini à Bâle

Si j’avais une exposition à conseiller aux amateurs de paysages austères, d’illuminations vespérales et de clartés lunaires en cette saison, ce serait bien celle que la fondation Beyeler dédie à Giovanni Segantini (1858-1899). Figure marquante du divisionnisme (proche du pointillisme), artiste reconnu et célèbre à son époque, Segantini a rarement fait l’objet de rétrospectives au cours des dernières années (une exposition à la National Gallery de Londres, en 2008, a présenté certaines de ses œuvres à côté de celles d’autres peintres divisionnistes). Et pourtant, cette œuvre mérite d’être plus largement diffusée, car elle offre de nombreux aspects originaux allant au-delà d’une peinture « de genre » montagnard.

Perspectives

Le lieu presque unique de l’œuvre de Segantini, malgré quelques exceptions milanaises, est le paysage agreste des Grisons où l’artiste avait fixé sa résidence. Que ce soit dans une prairie entouré de cimes blanches ou sur une route traversant une plaine, le regard se déploie sans artifices sur les rochers et les pentes, sur l’ombre des clôtures et des sources. L’expression est sobre, sans être minimaliste, elle dévoile les changements de la lumière du jour, l’ouverture de l’espace ou la solitude. Segantini peignait de grands tableaux en plein air, en altitude, comme le Triptyque des Alpes.

Personnages

Cependant, les montagnards qui apparaissent dans l’œuvre de Segantini ne sont jamais seuls. Ils sont représentés au travail, en plein soleil ou à l’aube, figures presque à contre-jour proches des paysans de Millet, parfois en prière ou au repos, dans un moment d’abandon, marchant en compagnie de leurs vaches et moutons. Les animaux font partie de leurs vies et occupent souvent la plus grande partie de l’espace ; leur présence, surtout quand ils apparaissent en groupe, forme des jeux de couleurs et de formes autonomes qui profitent de l’iconographie naïve et populaire  pour exprimer un message symbolique. L’humain et l’animal ont une existence semblable, les mêmes peines, les mêmes chemins parcourus. Ainsi, Les deux mères montrent la femme et la brebis côte à côte, chacune accompagnée de son petit, évoluant dans un monde crépusculaire. Les silhouettes ne sont pas figées, mais on devine une certaine économie des mouvements, réduits à l’essentiel, en harmonie avec une nature impressionnante et froide, mais qui ne cesse d’évoluer.

Textures de la lumière

Chez Segantini, l’heure bleue offre un éventail de nuances chatoyantes. Vues de près, les couleurs claires semblent avoir été appliquées en filaments bien définis, avec une texture plus sèche sur un fond sombre, produisant un curieux effet de relief, rappelant un rideau de neige ou une empreinte. Cela est particulièrement perceptible dans ses dernières œuvres et montrent une évolution de la technique de l’artiste qui  aurait pu se tourner vers des formes abstraites. Dans les autres toiles, tout un monde de reflets papillonnants, grâce à la séparation des couleurs, s’offre aux regards, comme si le peintre avait voulu figer des gestes de la main, le scintillement de l’eau ou la course des nuages traînants. Le style divisionniste inspirera plus tard le Futurisme, dans la recherche  d’une représentation efficace du mouvement. Mais c’est une autre histoire.


Jusqu’au 25 avril
Fondation Beleyer
Baselstrasse 101
CH-4125 Riehen/Bâle
Tél. + 41 (0)61 645 97 00


Tous les jours de 10 h. à 18 h, le mercredi de 10 h. à 20 h.
Le musée est ouvert le dimanche et les jours fériés.
http://www.fondationbeyeler.ch/fr/introduction




Ajout du 21 mars 2011:

Pour bien observer l'effet de bruit, issu de l'application de petites touches claires sur un fond sombre.

http://www.flickr.com/photos/32357038@N08/5534683925/in/set-72157625949189962/

http://www.wikigallery.org/wiki/painting_245794/Giovanni-Segantini/The-fountain

http://www.wikigallery.org/wiki/painting_245823/Giovanni-Segantini/Landscape

Commentaires

  1. Pas besoin de photos pour agrémenter votre billet. Des images surgissent de vos mots. J'ai eu envie tout de même d'aller voir le beau portrait de l'artiste à 20 ans sur Wikipédia. Etonnant son autoportrait de 1893. Mort trop jeune (41 ans).
    Belle épitaphe sur sa tombe :
    « Arte e amore vincono il tempo » (L'art et l'amour triomphent du temps).

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  2. Ahhh, voilà ce qui arrive lorsqu'on poste des billets tout en parlant au téléphone :-), je voulais quand même ajouter une image de l'une de ses oeuvres.

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  3. C'est bien ce que je disais; c'est ce tableau que je voyais en vous lisant;-) : "tout un monde de reflets papillonnants, grâce à la séparation des couleurs, s’offre aux regards, comme si le peintre avait voulu figer des gestes de la main, le scintillement de l’eau".
    Bon, vous deviez encore être au téléphone (*_*), vous avez omis le titre : Ave Maria!

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  4. Merci Ambre! Alors récapitulons:

    1° Ave Maria
    2° La Vita
    3° Autoportrait

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  5. Zhen xi guai! comme on dit chez moi (c'est étrange!). Fan inconditionnel du pointillisme, je découvre ce genre, où les paysages ressemblent à des photos saturées en grain ou en bruit (pour le numérique).

    Ambre: Inma répond "Ave Maria" au téléphone, ou j'ai lu trop vite ?

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  6. Euh... au téléphone ce serait plutôt :
    could hold on please? I click mouse!
    A propos de l'effet saturé du tableau La Vita, je pense qu'il doit s'agir d'une copie "poster". D'où cette impression?

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  7. Justement, l'effet appartient à l'oeuvre picturale et non pas à la reproduction. On le voit particulièrement bien dans ses derniers tableaux. Je vais essayer de trouver des images en détail.

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  8. Oui, on le constate très bien: il s'agit de touches de blanc, plutôt qu'une présence de toile vierge entre les traces de couleur.

    Ma compagne, qui a fait de la physique & des maths chez les pro, m'a expliqué qu'il existe du bruit blanc et du bruit rose: c'est charmant, non ? Même là, il y a de la poésie....

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  9. "Comme de longs échos qui de loin se confondent
    Dans une ténébreuse et profonde unité,
    Vaste comme la nuit et comme la clarté,
    Les parfums, les couleurs et les sons se répondent."

    Les "Correspondances" selon Baudelaire appartiennent à cette poésie-là. On les appelle aussi synesthésies.

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  10. J'entrouve la porte, je la referme mais je savoure votre érudition à tous deux, à laquelle je ne saurai renchérir... sans aller m'enquérir sur la Toile. Il faut parfois oser dire son incompétence (0_0)

    Je m'en vais de ce pas respirer "la clarté, les parfums, les couleurs, les sons" de cette belle journée sur les bords de l'Odet.

    Belle après-midi à vous.

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  11. Mais j'ai dû m'enquérir sur la Toile pour trouver l'Odet ;-) Il y a de très belles promenades du côté de Bénodet. Dommage, je ne suis jamais allée en Bretagne.

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  12. Vous serez de retour pour le thé ? Inma nous a préparé un bizcocho.

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  13. De retour, pour le five o'clock!
    Un bizcocho : j'ai encore dû "aller m'enquérir sur la Toile" (rires). Un bizcocho (j'ai cru à une espièglerie de votre P.A.Rt:)) mais non, un bizcocho de mascarpone! Pour ma part je suis très scones (je n'ai pas dit stone hein!)

    Je reviens car mon mot de passe est : FRUGALE!
    C'est fou non? (0_?)

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  14. Pour ma part, les meilleurs scones ont été ceux de Bangkok à l'heure du High Noon Tea et à l'ombre d'un quatuor à cordes interprétant
    Haydn.
    Comment ça: "il est complètement décadent" ?!

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  15. C'est comme la pizza à Monaco, seulement délicieusement décalé.

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  16. Il s'agit néanmoins d'une affaire délicate. Autrefois, en Espagne, on mangeait le turron (sorte de nougat ou de pâte d'amandes sucrée) uniquement à Noël. Aujourd'hui on le trouve toute l'année dans les commerces. C'est l'idéal pour ceux qui aiment, mais je crois que l'on perd l'effet madeleine de Proust qu'offrent les choses exceptionnelles, le fait de rebâtir un Noël perdu d'une seule bouchée.

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  17. Je connais le turron, qu'une collègue gallego (galleguette?) apporte parfois au bureau: c'est dangereusement casse-dents.
    Dans la même famille gustative, on trouve le nougat de Montélimar, qui est ma madeleine personnelle pour tous les passages effectués depuis un demi-siècle. Un acte symbolique qui ouvre la route du sud; la porte une fois ouverte, les cigales se mettent à chanter de bonheur.

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  18. Il existe des nougats moelleux délicieux qui ne cassent pas les dents!
    C'est en Irlande que j'ai mangé les meilleurs scones mais j'en ai dégusté d'aussi savoureux à Paris : les scones de Devon! A ne râter sous aucun prétexte si une escapade parisienne vous tente :
    http://www.the-tea-caddy.com/

    Scones de Devon
    Duo de scones anglais traditionnels préparés avec de la "double crème " et de la confiture de fraise maison.

    Un endroit désuet, délicieux, so british!

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  19. Je me souviens du titre d'une pièce de théatre sur Leicester Square, qui injectait une bonne dose d'autodérision dans une époque qui voulait chambouler les traditions: "No sex please, we are British !"

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  20. Une anglaise a écrit un livre avec un titre du même genre. Je ne suis plus trop sûre du titre :
    "No more sex..."
    Après la révolution sexuelle, éloge de la chasteté! Ou comment passer d'une extrême à l'autre.
    Inma, au secours, venez vite sinon nous allons sur une pente glissante (*_*)

    Diversion : Je découvre qu'il existe un Musée Segantinià Saint Moritz :
    "Le grand triptyque des Alpes "Devenir", "Etre", "Disparaître", présenté dans la salle en forme de coupole du musée Segantini, est l'oeuvre la plus importante de la dernière époque"

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  21. Il me semble qu'un autre auteur, canadien celui-là, avait écrit aussi un livre sur le même sujet, avec une perspective historique. Bien entendu, c'est le destin de tous les extrémismes que de subir la loi du balancier, ou de se démoder au bout d'une génération, n'ayant plus d'illusion à offrir à quiconque. Il arrive au sexe obligatoire la même chose qu'à l'optimisme obligatoire, la solidarité obligatoire et le bonheur obligatoire : ils deviennent tous indésirables, c'est l'adjectif qui change tout.

    Oui, je suis allée voir le site (pas encore le musée).

    http://www.segantini-museum.ch/htmls/englisch/index2.htm

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  22. Ira Levin: "Un bonheur insoutenable" - ("This Perfect Day", 1970) - J'ai lu N° 434, 1972. Roman libéral.

    Si j'ai compris ce qui précède, Giovanni Segantini est un Grison italophone; sinon les Tessinois lui auraient déjà édifié un mausolée.

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  23. C'était un peu plus compliqué que cela:

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Giovanni_Segantini

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  24. Rien n'est jamais simplement simple.
    Naturalisme, Réalisme, Symbolisme, Impressionnisme, Décadentisme, Védutisme, Parnasse et j'en passe: difficile de toucher un pinceau ou une plume et de ne pas sentir le poids de sa responsabilité à une époque si chargée.
    Les Grisons sont un lieu où règnent les grands esprits en vacances: Friedrich Nietzsche, Hermann Hesse, Thomas Mann. Savez-vous s'il y a eu d'autres peintres?

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  25. . Paul Klee, il vécut dans Les Grisons et reçut la nationalité suisse qu'il espérait tant le lendemain de sa mort (=_=)
    . J'ai aussi entendu parler d'un peintre de Berne célèbre pour ses affiches, mort en 1936 : Emil Cardinaux (0_0)

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  26. Ah bon ?
    La Suisse est petite, mais les Grisons sont tellement loin: imaginez qu'il faut 6 heures et 28 minutes, pour aller en train de Genève à St. Moritz.
    Plus qu'il n'en faut pour se retrouver à Dakar, installé à la terrasse de l'Hôtel Teranga, au bord de la piscine en train de boire un bière adaptée au climat.
    Bon voyage tout de même.

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  27. En train?
    Savez-vous que pour faire Paris-Quimper il faut 4 heures 30!!!
    Il me plairait de faire un voyage avec "le Glacier Express" (=_=)
    J'ai vu un reportage sur Arte : paysages magnifiques!
    http://www.tourmagazine.fr/Suisse-le-Glacier-Express-le-train-de-tous-les-desirs_a5828.html

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  28. Fin février, j'ai rencontré des Chinois dans le train, qui venaient de descendre de leur avion et qui trépignaient d'impatience d'arriver au Glacier Express. Peut-être n'ont-ils jamais vu la Grande Muraille, comme je n'ai jamais voyagé à bord du Glacier-Express: le monde est mal fait, disait ma mère (qui en a malgré tout bien profité pendant 90 ans).

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  29. Justes comparaisons.
    Combien de parisiens ont visité la Tour Eiffel?
    Les vénitiens prennent-ils une gondole (0_0)?
    Non, seuls les touristes le font.
    Je pense qu'il suffit de savoir que quelque chose de notre quotidien, quelque beauté, sont à portée de main, de regard, pour se satisfaire simplement de les savoir là; comme les êtres chéris, il n'est point besoin de leur rendre visite pour qu'ils sachent qu'on les aime.
    [...]
    90 ans? Le grand âge est hériditaire (=_=)!

    Bonsoir Inma.

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  30. Bonsoir Ambre :-)
    Moi qui ai vécu quelques années à Paris ne peux que confirmer pour la Tour Eiffel. J'ai dû la visiter une fois en tout! Pour le Louvre, c'était autre chose, à une époque j'y allais tous les dimanches ou quelque chose d'approchant. J'ai du raconter une fois, dans un des blogs de Pierre-André Rosset que, dans une autre vie, je tournais souvent le dos à la Joconde. J'avais pour habitude de m'asseoir en face des "Noces de Cana" de Véronèse, un de mes peintres préférés, et je restais là longtemps à entendre le cliquetis des appareils photos et le bourdonnement autour de la grande dame renaissante, et à regarder un ciel bleu limpide de 400 ans.

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  31. Oui Inma, moi aussi lorsque je vivais à Paris (30 années tout de même), donc presque parisienne, j'allais au Louvre et, plus souvent au Centre Pompidou et au Musée d'Art Moderne. Les parisiens qui s'intéressent à la culture, aux arts y vont, en profitent. La Tour Eiffel, je n'y suis montée que pour aller au restaurant:) (vue splendide sur Paris la nuit).
    On ne peut dire que les Musées soient des lieux réservés aux touristes comme peuvent l'être La Grande Muraille de Chine, Le Glacier Express, Les Gondoles à Venise, la Tour Eiffel, le Rocher de Monaco:)(0_?)
    Pour en revenir à La Grande Muraille dont parle notre ami, je pense à l'étendue de la Chine (9 641 144 km2 de superficie!) et, j'imagine que tous les Chinois n'ont pas les moyens de faire le voyage (=_=) tout comme les musulmans qui, parfois économisent toute une vie pour aller à la Mecque :(... et se faire piétiner tant la foule est dense.
    Pour revenir au Louvre, on pourrait ne faire que ce Musée toute une vie et je ne suis pas sûre que nous eussions tout vu.
    (N'oublions pas que nous sommes chez vous, sur un blog littéraire, donc culturel, donc des privilégiés (+_+))
    Bon week-end...

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  32. Les révolutions n'aiment ni la culture, ni les privilèges: nous sommes donc des condamnés en sursis.

    En Chine, on utilise "万": une expression vague et passe-partout qui se traduit par "10'000" et "un grand nombre". La Grande Muraille mesure 10'000 lis, l'humanité et tout ce qui vit sur Terre comprend les 10'000 êtres, on souhaite à l'empereur ou à une personnalité importante de vivre 10'000 ans. Pour en revenir à la surface de la Chine, celle-ci devrait correspondre à 38'400'000 lis carrés; mais dire qu'elle fait 10'000 lis carrés suffit amplement à produire son effet.

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