À propos des Chroniques de l’étrange, de Pu Songling
Par son sens étymologique, transparent est proche de paraître, disparaître ou apparent. La transparence était autrefois celle de l’air ou du ciel, et aussi celle des mots. On trouve ainsi cette expression associée aux qualités de certaines matières, comme la soie ou le verre, Dans les Chroniques de l’étrange, de Pu Songling, recueil de contes chinois écrits dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, ce sont les différents mondes qui deviennent diaphanes, se mêlent et se confondent dans une atmosphère de rêve. Cette transparence-là ne laisse passer seulement la lumière, mais aussi les renards métamorphosés en jeunes filles, les dragons égarés cherchant un lieu d’hibernation dans les yeux des passants, les génies tutélaires et même les belles revenantes décidées à continuer le parcours qui aurait dû être le leur si elles avaient vécu.
La superposition des mondes se fait sans artifice aucun, il n’y a pas de transition entre le naturel et le surnaturel, si ce n’est parfois le songe, la nuit ou même l’ivresse, mais tout cela ne fait pas une frontière ; le passage se fait donc sans encombre d’une fresque à un lit. Les meubles rentrent dans les murs et y disparaissent, un lettré se souvient de ses vies antérieures en tant que cheval, chien, serpent. Cependant, le moment où les transitions se produisent peut se révéler terrifiant, provoquer la peur ou la fuite de celui qui se retrouve en face d’un être inattendu ou indescriptible et parfois cela s’accompagne d’une fin malheureuse et symbolique. Ce fonctionnement du conte, où le merveilleux est tour à tour redoutable ou désirable dans une perspective d’apprentissage et d’initiation, où se lient l’amour de la femme-renard et la réussite aux examens et concours, se retrouve parfois chez Hoffmann (dans Les Mines de Falun, par exemple), et aussi dans certaines des Histoires Extraordinaires d’Edgar Poe, comme dans Le Sphinx.
Pu Songling, Chroniques de l’Etrange, traduit par André Lévy