Comment réveiller un blog dormant


Il m’arrive d’y entrer sans faire du bruit, sans publier rien de nouveau, bref passage là où le temps ne passe pas, puis je reviens à une dimension plus tangible, faite  d’assemblages, de travaux de transformation et de soutien, voire de balayage de feuilles mortes. L’espace compte pour beaucoup chez quelqu’un d’aussi casanier que moi, et l’adaptation nécessite parfois de longues respirations, de distanciation, d’instants vides ou d’éclipses.  Pourtant, des élans contraires se manifestent également, sous la forme d'un rattrapage vain du temps des autres, d'une envie de ne pas rester sur le rivage trop longtemps. Ces contradictions ne me donnent pas la recette adéquate qui me permettrait d'écrire de façon regulière; en réalité, c'est quelque chose qui survient à un moment donné, sans le chercher vraiment, malgré tous ceux qui affirment, très rationnellement, que l'écriture est une question de discipline. J'en viens à penser que, comme la lecture, il s'agit davantage d'une affaire d'inclination. Faut-il alors réveiller un blog en hibernation?

Dernièrement, et les déménagements & emménagements sont propices à ce genre d'expérience, j'ai dû classer une partie de mes livres et j'ai organisé ainsi une petite bibliothèque de livres non lus, de ceux qu'on laisse toujours pour un hypothétique surlendemain, ou pour des grandes vacances idéales, tout droit issues des souvenirs d'enfance. Parmi eux, j'ai trouvé Une Liaison dangereuse, de Hella S. Haasse, longue nouvelle qui est aussi un éloge de la curiosité littéraire, mettant en scène Madame de Merteuil après sa chute, menant une vie triste et en retrait à La Haye. Dans une correspondance avec une femme d'une autre siècle, cette Madame de Merteuil développe ce qui aurait pu être le point de vue d'une femme  de la fin du XVIIIe siècle à propos des hommes, de l'amour ou de l'éducation des femmes. La brillante stratège libertine de Laclos se transforme chez Haasse en une femme d'une lucidité désespérée, confrontée au caractère intolérable des souvenirs heureux qui deviennent son seul divertissement. Pour le reste, il y a toujours des questions, à propos de détails dont la littérature de l'âge classique ne s'encombrait guère : les prénoms, la vie quotidienne, les décors réalistes et les descriptions bien plus modernes (et qui, pour cette raison, se démodent bien plus facilement) ; enfin, tout ce qui permettrait, sinon de mieux comprendre le texte de Laclos, du moins de rester quelque temps dans son champ magnétique, y compris la mélancolie qui se dégage de tous les échecs évoques, le côté dérisoire inhérent aux plans les mieux organisés. Et c'est précisement cette mélancolie, si présente dans le style de la romancière néerlandaise, qui pourrait se rapprocher le plus de ce XVIIIe siècle finissant. Une anticipation romantique dans un reflet bref et précis. 




Ajout du 16/11, Bureau



Commentaires

  1. Avec un regard entendu qui instille le doute, la jeune fille à la perle pourrait bien vouloir dire qu'à défaut d'une fin de vie aventureuse sous des latitudes extrêmes, une retraite à La Haye m'échoit aussi.
    Pourquoi pas ? Mais s'il faut rallumer les lustres du passé, quelle meilleure compagnie, alors, que celle de Mlle Vermeer et de Mme de Merteuil ?
    Nous irons flâner le dimanche matin sur la plage de Scheveningen, puis manger des broodjes ou des panekoeken, comme tout le monde. Charmant...

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  2. En effets, la flânerie méditative a beaucoup de charme, mais pour ce qui est de la lumière froide du Nord, je ne connais que celle de la Finlande, de l'Ecosse ou du Danemark. Traverse-t-on la Sibérie pour aller en Chine?

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  3. La belle "au blog dormant" fait un beau réveil!
    Très joli billet.
    Les liaisons dangereuses (je n'ai pas lu Une liaison...) serait peut-être le livre que j'emmènerai sur une île si je n'avais droit qu'à un seul roman.

    Le regard est vers la fenêtre à votre bureau...
    la connexion Internet a démarré, donc je vous souhaite un joyeux anniversaire Inma... passé ou à venir.

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  4. Alors, bon anniversaire: hier, aujourd'hui, demain, et tous les jours jusqu'au prochain !

    La ligne Moscou-Pékin ou Shanghai a toujours existé, mais un train touristique moins rustique a été mis en service depuis. Il traverse une partie de la Sibérie jusqu'à Irkoutsk, puis la Mongolie. Pour les gens pressés, les avions de ligne chinois font le même parcours, et en une traite: Francfort-Moscou-Novosibirsk-Ulaanbataar-Beijing. Depuis Moscou, le paysage est fascinant à survoler: il n'y a rien de rien. De quoi caser facilement le prochain milliard d'habitants de cette planète.

    N.-B.: la lumière n'est pas froide, elle est gazeuse. Est-ce qu'un gaz peut être froid ?

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  5. Mais oui, un gaz peut être froid. L'azote liquide (pour brûler les verrues) est un gaz il me semble.
    Cependant, une "lumière gazeuse" ce doit être très étrange. Pourriez-vous préciser? Mon imaginaire cale.

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  6. Une sorte de nébulosité transparente qui ne masque pas, mais estompe les détails dans une atmosphère laiteuse, d'où percent des reflets de lumière du soleil sur du verre ou du métal. C'est visible de la Manche à la Mer du Nord.
    J'ai évoqué la chose avec Calu Schwab, qui m'a dit ne pas retrouver cette caractéristique en Patagonie ou en Terre de Feu, à cause du trou dans la couche d'ozone; des régions où la lumière est dure et froide.

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  7. Jolie description.
    "Une sorte de nébulosité transparente qui ne masque pas, [...] d'où percent des reflets de lumière du soleil sur du verre ou du métal."
    C'est cette "lumière gazeuse" alors que je dois voir aujourd'hui à travers la vitre : un rai de lumière entre dans ma pièce et, sur la terrasse, j'aperçois un ciel laiteux d'où perce le soleil ironiquement, accompagné de pluie. C'est étrange mais très doux; ni "dur" ni "froid".

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  8. Oui, une nébulosité transparente. Verlaine, dans ses "Romances sans paroles" trouve que:

    "La Lune à l'écrivain public
    Dispense sa lumière obscure"

    ("C'est le chien de Jean de Nivelle")

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  9. probablement que si le blog parait dormir il est seulement assoupi attendant qu'un nouveau billet ne soit rédigé par inma.sa faculté d'analyse et la précision de ses propos son admirables.felicitations

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  10. la photo du bureau est très belle.le siège vide est une invitation à s'y asseoir pour admirer le paysage.toute la pièce parait baignée d'une lumière très pure comme dans un tableau de velasquez.bonne anniversaire inma avec 1 jour de retard.

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  11. Une cellule de moine branché sur la blogosphère et avec la cime des Alpes pour horizon: comment ne pas devenir écrivain avec ça ?

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  12. Mais non P-A., les moines n'écrivent pas, ils font du fromage (0_0)... pour émerveiller les asiatiques (^_^)

    http://youtu.be/AAFzUzUow9U

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  13. Alors, si ce n'est pas une cellule de moine, que dire du poste de pilotage d'un vaisseau spatio-temporel ?

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  14. Joli billet pour un réveil, et Hella S. Haasse en est l'hôte parfaite. Je n'ai pas lu sa Liaison dangereuse, mais presque tout le reste: Les routes de l'imaginaire, Les seigneurs du thé,Un goût d'amandes amères.. Tous valent le détour pour leur magie simple, qu'ils soient romans historiques ou contemporains.
    Continuez, Inma, à nous écrire, ou bien vous aurez affaire à moi et à tous les autres!
    JPR

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  15. Merci à tous pour vos commentaires et ravie de constater que mon petit bureau vous plaît... Pour la vue sur les montagnes, en revanche, il faut se pencher un peu, depuis ma position, mais je voulais un maximum de lumière.

    Hella S. Haasse est décédée le 29 septembre 2011, laissant une oeuvre qui vaut effectivement le détour, le retour et l'arrêt prolongé. J'avais été impressionnée par certaines de ses structures romanesques, apparemment déliées ou hasardeuses, mais qui se révélaient d'une précision étonnante au fil des pages, comme dans "Des nouvelles de la maison bleue", "Locataires et sous-locataires" ou "L'anneau de la clé". Souvent, c'est une blessure d'amour propre, que le temps n'a pas fermée mais rendue de plus en plus intense, qui devient l'élément déclencheur de l'intrigue et du danger. Mon préféré reste "Les routes de l'imaginaire", peut-être parce que c'est le plus mystérieux.

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