La lune assassinée

À propos de La lune assassinée, de Damien Murith
Le décor est un village anonyme, mi- agricole, mi- industriel, qui pourrait se situer dans n’importe quel pays, à n’importe quelle époque des deux derniers siècles. Sombre et intemporel, mais dépourvu de tout signe de  modernité ou de communication avec l’extérieur. Les animaux sont tués dans les fermes et le bistrot est le seul lieu où les hommes se réunissent. Un monde primitif, dur et glacial, rythmé par le travail des champs et de l’usine où l’on « ne compte pas les heures ». La vie des villageois s’écoule en vase clos, et dans leur enfermement, où le seul divertissement est l’observation réciproque, se développent désirs, rancunes et obsessions.
Tout est déjà joué dès les premières lignes de ce récit tendu. On a l’impression d’arriver presque trop tard, juste avant le dénouement, le dernier acte. Tout converge vers le malheur et le crime dans une famille dominée par une aïeule féroce, nommée la Vieille, qui exerce une influence malsaine sur un couple à la dérive, Pierre et Césarine. Ce sont les éléments d’un premier triangle, entretenu par la haine et la jalousie de la Vieille envers Césarine. Ils partagent une même maison. Césarine est régulièrement insultée et agressée par la Vieille, et sa seule réponse consiste en une étrange passivité, laissant deviner un drame plus ancien, un souvenir impossible à désigner clairement, qu’implique les trois protagonistes, et que Pierre tente de fuir dans les bras de sa maîtresse, dite « la Garce », haïe par la Vieille et par Césarine. Pas de révolte, mais des grondements, des esquives, des silences. Ce deuxième triangle précède un troisième, car la Garce est aussi aimée par l’Etranger,  un homme sans attaches, de passage dans la région. Sur ces relations imbriquées, dont il est difficile de s’échapper, planent la violence et la mort.
La forme de ce roman –les chapitres, extrêmement brefs, sont parfois composés d’une ou deux lignes-, permet de mettre en scène d’une manière originale l’atmosphère oppressante d’une histoire qui rappelle par ailleurs des thèmes naturalistes, parfois exagérés. C’est ainsi que le huis-clos familial, la place de la religion, le rapport entre l’homme et l’animal –tous les animaux sont décrits morts ou en train de mourir-, les difficultés de la vie paysanne, l’ennui et l’environnement hostile, entre orage et brouillard, semblent des motifs familiers d’un paysage désolé.  Pourtant, au fil du récit, des souvenirs heureux surgissent et s’éparpillent au milieu de cette noirceur : une pluie bienfaisante, un jour de noces, le début d’un été ; d’autres rappels du passé permettent au lecteur de reconstituer, à partir de minuscules fragments, les différents moments de la tragédie. Une composition habile et bien maîtrisée, où chaque chapitre pourrait également être lu comme une micro-nouvelle.
La lune assassinée, de Damien Murith, éditions l’Âge d’homme, 2013

publié le 17 novembre 2013

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