Le roi n’a pas sommeil

À propos de Le roi n’a pas sommeil, de Cécile Coulon

Avec un titre pareil, nous pourrions être emmenés dans un monde légendaire et improbable. Qui est donc ce roi insomniaque, et où se trouve son royaume ? Dans une petite ville sans nom, au milieu d’un pays de champs et de forêts, quelque part aux États-Unis ou au Canada, grandit Thomas Hogan, enfant unique et silencieux, ayant vécu une série de malheurs familiaux qui vont peu à peu orienter son destin. Thomas voit mourir son père des suites d’un accident banal, devient un élève modèle en refusant les attraits de la révolte adolescente, mais n’envisage pas de faire des études qui l’éloigneraient de son foyer. Car il n’est pas dissociable de la vaste propriété que son père a fait fructifier et que sa mère continue d’entretenir. C’est  là qui se trouve son royaume, et c’est là que Thomas Hogan a l’intention de vivre et de mourir. Tout autre projet, toute autre bifurcation ne serait qu’une sortie de piste, un dérapage. Son monde, ce sont les chemins forestiers qu’il parcourt en compagnie de Mary, sa mère. La présence de quelques amis de son père. Les traces d’un monde révolu que Thomas va désormais d’approprier, malgré deux obstacles.
D’abord, il y a Mary, esquissée en quelques traits, souvent vue à contre-jour, à travers la lumière. Une femme sans histoires compliquées, marquée par d’anciennes peurs. Mary occupe les lieux et reste à sa place, en regardant avec inquiétude le passage de Thomas à l’âge adulte, dans un milieu frelaté où l’alcool –toujours du mauvais whiskey ou de la mauvaise eau-de-vie, en dépit de quelques bonnes vieilles bouteilles oubliées à la cave- joue un rôle essentiel. Tout le monde boit démesurément, s’adonne au jeu dans des bars crasseux, passe des nuits blanches, brûle la chandelle par les deux bouts. Thomas n’emprunte que lentement, mais sûrement, cette voie, lorsqu’il commence à mimer les attitudes qui avaient été celles de son père. Dans le monde de Mary, la nouveauté n’existe pas. Le temps semble s’écouler selon un rythme inchangeable et ignoré. L’enfant qui devient un homme taciturne fait partie du cours de la vie. Mary observe son évolution, où il n’y a pas d’avenir souhaitable, depuis sa perspective impuissante. Le manque de communication est pour eux un mode de vie.
Ensuite, il y a Donna, la petite copine, qui fait partie également d’un milieu rangé, où les peurs indéfinies n’existent pas. Donna ne réussira pas non plus à sortir Thomas de l’enchantement maléfique que représente son royaume, même pas en l’emmenant la nuit dans la scierie déserte. Les relations tournent mal et Thomas se replie de plus en plus dans la solitude et le silence. Avec ses blessures mal guéries, il n’a plus qu’à attendre l’issue malheureuse qui ne tardera pas à se produire, et l’alcool sera une fois de plus le déclencheur.
Le caractère original de ce récit, en dehors de la tonalité résolument américaine que la jeune romancière française a su lui donner, est tout dans l’apparente absurdité des comportements, qui cachent cependant des questions importantes. Peut-on être attaché à une terre et à un passé, davantage qu’à une famille ? Peut-on vouloir par-dessus tout se débarrasser du temps humain et le réduire au passage des saisons ? Cela permettrait peut-être à certains de se débarrasser du souci et de la culpabilité, en acceptant leur dose de fatalité et d’imprévu.
Le roi n’a pas sommeil, de Cécile Coulon, éditions Viviane Hamy, 2012

publié le 4 décembre 2013

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