Écrire le désir
À propos de
Écrire le désir. 2000 ans de littérature érotique féminine
illustrée. Édition établie par Julia Bracher.
L'érotisme
en littérature peut être vu comme un exercice de style
particulièrement ardu. Ses limites sont floues, sa définition
impossible, ses effets imprévus. On a longtemps cru que, relégués
à l'enfer des bibliothèques ou au « second rayon », les
textes érotiques étaient naturellement considérés comme une
littérature frivole et superficielle, purement destinée au
divertissement lorsqu'elle n'était pas quasiment prohibée. Cette
image du livre sulfureux lu en cachette est pourtant relativement
moderne. Elle date de la fin du XVIIIe siècle et surtout du XIXe.
Les temps plus anciens ne séparaient pas la sexualité des autres
aspects de la vie, ne l'enfermaient pas dans un monde fantasmatique
qui se devait de fonctionner de manière inversée par rapport au
monde réel, tel un carnaval permanent. Le cliché s'est maintenu
jusqu'à l'époque actuelle, où l'exhibitionnisme se révèle un
pendant de la bigoterie, tout aussi centré que cette dernière sur
la pratique, la répétition, la mise en scène et la volonté de
transgression d'une norme qui n'existe plus.
L'érotisme
moderne est une sexualité orientée vers l'extérieur, cherchant à
la fois à choquer et à être approuvée et reconnue. En prenant en
compte les traits principaux ce ce contexte, y compris dans ses
aspects contradictoires, mais en puisant également dans des sources
antiques, médiévales ou renaissantes, l'histoire de la littérature
érotique écrite par des femmes, et dont le public était aussi, du
moins en partie, féminin, nous offre les points de vue les plus
divers à propos de l'écriture du désir. C'est ainsi que
l'introspection, l'analyse des sensations, l'évolution des
sentiments, l'interaction avec les partenaires, la description du
plaisir, la curiosité et l'espace où ces découvertes ont lieu
jouent un rôle essentiel. L'ouvrage est, par ailleurs, abondamment
illustré d'une iconographie bien choisie selon les époques, et qui
nous offre des gravures libertines, des motifs de la peinture
classique et des photographies où la nudité peut être intimiste ou
faisant partie d'une scène pornographique. Sauf quelques exceptions,
l'aperçu graphique de la sexualité féminine est ici
majoritairement fait par des hommes, dessinateurs, peintres ou
sculpteurs. Sa pertinence artistique et documentaire tient à la
représentation du corps, du mouvement, de la sensualité... Et aussi
au décor qui est, dans l'art érotique, beaucoup plus qu'un
arrière-plan ; il détermine l'articulation entre le public et
le privé et par là toutes les questions qui concernent la morale ou
les interdits.
La
première caractéristique de cet érotisme au féminin est que le
récit définit davantage un espace qu'un catalogue de positions. Le
lit, le boudoir, la maison close, le pensionnat ou le couvent sont
les lieux de prédilection où s'épanouit une réalité caché, à
l'abri des regards et souvent à contre-courant des règles de
bienséance de chaque époque représentée. Au secret de l'alcôve
ou de la ruelle [1 ]correspond une zone de pénombre morale,
entretenue par le fréquent anonymat des auteurs. Présentés par
ordre chronologique, les textes nous font connaître des coutumes qui
peuvent paraître étranges aujourd'hui. Dans les contes de
Marguerite de Navarre, maîtres et serviteurs partagent une même
chambre, et la promiscuité qui en résulte provoque des jalousies et
des malentendus -mais développe aussi un dialogue qui sera exploité
dans le roman et le théâtre jusqu'au XVIIIe siècle. Le schéma de
l'amour courtois prévoit aussi une proximité spatiale et une
inévitable triangulation, où la femme noble et mariée est
courtisée par un ou plusieurs jeunes hommes de rang social
inférieur. Plus tard, il y aura des lieux qui suggèrent plus ou
moins ouvertement la sexualité : depuis la maison de
prostitution jusqu'à la chambre de la courtisane, en passant par les
salons mondains ou l'opéra, qui sont des lieux de séduction.
L'espace investi par les femmes est le signe d'une certaine liberté,
qu'illustrent bien les Amazones de la Belle époque, avec leur
indépendance financière et leurs amours lesbiens. La question du
lieu ne se limite cependant pas au décor. L'érotisme consiste à
créer une atmosphère, une attente de situations imprévues,
redoutées ou convoitées.
La
seconde caractéristique de cette anthologie est la diversité dans
l'origine des textes ; on y trouve des conteuses, des poètes,
des mystiques, des écrivains occasionnels ou de métier, des
courtisanes ou des philosophes. Le sexe ne semble pas être un sujet
sérieux ou un objectif en soi. Sa présence dans des lettres, poèmes
ou romans participe d'une vision totalisatrice du récit. Le langage
érotique se déploie entre deux extrêmes : la mièvrerie et la
sentimentalité résultant d'un abus de métaphores, d'un côté, et
la vulgarité d'un texte qui se bornerait à raconter des faits en
utilisant presque exclusivement des expressions obscènes, d'un autre
côté. Afin d'éviter ces deux écueils, les écrivains ont souvent
fait appel à des artifices narratifs permettant d'évoquer le corps,
la sensibilité et le plaisir, comme le narrateur à la première
personne dans tant de mémoires et de journaux intimes fictifs. Avec
la sexualité, c'est la totalité de la vie qui nous est montrée,
même lorsque, par peur de scandale, les auteurs préféraient
utiliser un pseudonyme.
Il me
paraît l'égal des Dieux, l'homme qui est assis dans ta présence et
qui entend de près ton doux langage et ton rire désirable, qui font
battre mon cœur au fond de ma poitrine. Car lorsque je t'aperçois,
ne fût-ce qu'un instant, je n'ai plus de paroles, ma langue est
brisée, et soudain un feu subtil court sous ma peau, mes yeux ne
voient plus, mes oreilles bourdonnent, la sueur m'inonde et un
tremblement m'agite toute ; je suis plus pâle que l'herbe, et
dans ma folie je semble presque une morte... Mais il faut oser
tout... [2]
Écrire
le désir. 2000 ans de littérature érotique féminine illustrée.
Édition établie par Julia Bracher. Éd. Réunion des musées
nationaux- Grand Palais. Omnibus, 2014
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Notes
- La ruelle désignait l'espace situé entre le lit et le mur, ancêtre du « salon », où les dames du XVIIe siècle recevaient leurs visiteurs : « Se disait particulièrement des chambres à coucher sous Louis XIV, des alcôves de certaines dames de qualité, servant de salon de conversation et où régnait souvent le ton précieux.
Vous
verrez courir, de ma façon, dans les belles ruelles de Paris, deux
cents chansons, autant de sonnets.
Molière, Les Précieuses ridicules » (Littré)
2.
Sappho de Lesbos, Ode à une femme aimée, traduction de Renée
Vivien.
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