Comment dire l'instant en peinture. De William Blake à Antoine Watteau
À propos de Comment dire
l'instant en peinture. De William Blake à Antoine Watteau, de
Dominique Vergnon
Le titre de cet essai
fait allusion à une phrase de Diderot : « Le peintre n'a
qu'un instant presque indivisible ; c'est à cet instant que
tous les mouvements de sa composition doivent se rapporter. ».
L'instant désignerait un stade ultime de perfection de l’œuvre
picturale, où plus aucune intervention ou modification de la part de
l'artiste ne serait nécessaire. Une notion temporelle pour expliquer
une réalité apparemment contradictoire : la fixation sur la
toile de l'éphémère d'une lumière, d'un mouvement ou d'une
émotion, à l'intérieur d'une scène qui contient par ailleurs
d'autres points d'intérêt, d'autres histoires possibles ; la
recherche d'un présent absolu, d'une synthèse, le délaissement du
superflu... Si l'aboutissement de ce processus créatif est
perceptible par le spectateur et fait partie de l'expérience
esthétique de tout amateur de peinture, il est en revanche difficile
de transcrire ce moment à l'aide du langage verbal sans l'aide de
digression métaphoriques ou conceptuelles. La démarche est pourtant
réussie dans cet album, où les peintres sont présentés par ordre
alphabétique. Il s'agit de faire émerger, avec érudition et
délicatesse, la singularité de chaque artiste, à travers des échos
de sa vie et de la façon dont ses œuvres ont été reçues en son
temps, à travers des détails chromatiques, des ombres et des
expressions des procédés de style et de composition -usage de la
perspective, place et rôle des personnages-, à travers également
son opacité et son mystère. À l'image de celle de Giorgione
« l'Insaisissable », les vies de peintres semblent se
dérouler dans un doux clair-obscur qui les fait ressembler à des
légendes sans âge. L'essentiel est ailleurs. Chaque style est
unique, ancré dans un mode cohérent, qui s'affranchit de la
biographie et des conventions esthétiques d'un temps déterminé, et
traverse ainsi les époques. Les classiques ne vieillissent pas. Le
choix éclectique, d'artistes autant que de tableaux, montre que le
monde de l'art n'est jamais un jardin clos, mais que le caractère
original d'une œuvre peut venir aussi bien de l'interprétation
d'une tradition que d'une volonté de rupture. On trouvera ici des
anciens et des modernes, de Paolo Uccello à Piet Mondrian, en
passant par Hokusai, Seurat ou Holbein. La singularité de William
Blake tient à son mysticisme, à la perméabilité entre peinture et
poésie, à ses sources à la fois bibliques et shakespeariennes ;
celle de Chardin à son choix unique des scènes d'intérieur, à ses
portraits de femmes au travail ; celle de Chagall à sa culture
juive et hassidique, à son amour de la vie et de la peinture... Dans
les Noces de Cana de Véronèse, les points de fuite sont
multiples, les personnages nombreux, les couleurs brillantes, le
chatoiement des soieries, des perles, de l'or attirent le regard,
une infinité de mouvements qui se déploient autour du point central
et de la figure du Christ, formant une mise en scène complexe qui
laisse cependant une impression de légèreté évidente. Les effets
les mieux étudiés sont ceux qui paraissent issus d'élans
spontanés.
Comment dire
l'instant en peinture. De William Blake à Antoine Watteau, de
Dominique Vergnon. Éd. Michel de Maule, 2014
Paolo Veronese, Les Noces de Cana. |
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