Autoportraits au féminin
Sofonisba Anguissola, Autoportrait à l'épinette |
Parmi les
représentations picturales où la fantaisie s'exprime le moins, qui
semblent quasiment figées à travers les âges, l'autoportrait
occupe une place de choix. Ceci semble encore plus visible dans les
autoportraits de femmes peintres, du moins dans la peinture
antérieure au XXe siècle. Si la représentation de soi est le
véhicule par excellence de l'émotion, de l'introspection, et de la
connaissance de soi, sa forme prend curieusement des traits
génériques qui s'imposent, depuis la Renaissance, pendant trois
siècles. Ces traits -représentation du travail de l'artiste ou
allégorie de la peinture, décor réaliste et mise en scène de la
vie de famille, luxe et richesse de l'habillement et des accessoires
- peuvent être corrélés avec ce que l'on sait de la vie et du
travail de ces artistes. Avant le XVe siècle, Boccace rappelle
l'existence de femmes artistes, notamment dans l'Antiquité. Des noms
et des souvenirs subsistent, Marcia, Yrene, Thamar... y compris dans
la pratique de l'autoportrait, mais l’œuvre est perdue. La
mystérieuse Anastaise, évoquée dans la Cité des Dames, de
Christine de Pisan, et contemporaine de l'auteur, fait aussi partie
de ces artistes oubliées. [1] Il faut attendre le XVIe siècle, et
des figures comme Sofonisba Anguissola ou Artemisia Gentileschi pour
remarquer une professionnalisation du métier de peintre chez des
femmes, avec ce que cette activité implique, pour les plus célèbres,
comme portraitistes de cour ou recevant des commandes de nobles
personnages. Leurs autoportraits sont ainsi probablement devenus
emblématiques, ouverts sur la vie de la cour et de nature à
ressembler à leurs modèles et à entrer dans leur monde.
L'autoportrait est un échantillon de virtuosité autant qu'une
affirmation, pour chaque artiste, de sa singularité. Ce n'est qu'à
la fin du XVIIIe siècle que l'autoportrait devient plus intimiste,
et s'éloigne progressivement du cérémonial et de l'exercice de
style. Et pourtant, malgré certaines conventions, le caractère
original des autoportraits de femmes peintres les plus anciens saute
aux yeux. Intensité du regard, mise en abyme ou, simplement, un
point de vue inattendu.
Les Attributs du peintre
D'abord, les femmes
artistes ayant atteint une renommée durable sont des raretés dans
l'histoire de l'art. Cependant, la pratique des arts, dans le domaine
des arts plastiques, notamment des techniques comme l'aquarelle, la
peinture sur porcelaine ou la miniature, faisait volontiers partie de
l'éducation des jeunes filles. Jusqu'au XIXe siècle, il y avait
ainsi beaucoup de peintres amateurs, comme il y a avait également
beaucoup de diaristes ou d'épistolières, avec des productions de
qualité inégale. Ce dilettantisme se trouve également à l'origine
de certaines vocations artistiques. Parmi les femmes peintres,
nombreuses sont celles issues d'une famille d'artistes et leur
apprentissage a été informel, bien qu’extrêmement riche et
diversifié. C'est le cas de Marietta Robusti, dite la Tintoretta,
fille de Jacopo Robusti ; c'est aussi le cas de Catarina van
Hemessen, et peut-être de Judith Leyster ; mais l'éducation reçue
devient un facteur exceptionnel pour Sofonisba Anguissola, ainsi que
pour ses frères et sœurs. Cette dernière, (1532-1625) bénéficie
d'une formation très soignée, encouragée par son père,
l'humaniste Almicare Anguissola, qui souhaitait que tous ses enfants
développent leurs talents artistiques. Elle atteint un statut
professionnel unique à partir de 1559 et pendant une vingtaine
d'années, en intégrant la cour du roi d'Espagne Philippe II, en
tant que peintre et compagne de la jeune reine Élisabeth de Valois
[2]. Le parcours d'Artemisia Gentileschi, davantage tragique à ses débuts, n'est
pas moins riche en succès artistiques. Première femme acceptée
dans l' Accademia delle Arti del Disegno,
de Florence, protégée par des personnages influents, comme le
Grand-duc Cosme II et la Grande-duchesse Christine de Lorraine,
entretenant des correspondances avec les plus grands artistes et
savants de son temps ou voyageant dans toute l'Italie et même en
Angleterre au gré des commandes, c'est le profil d'une personnalité
forte et indépendante qui se dessine. Il est ainsi courant de voir,
chez celles qui avaient fait de l'art leur métier, des
autoportraits où il est question de se peindre en peignant. Et cette
mise en scène traverse les époques. C'est ainsi que, de Sofonisba
Anguissola à Elisabeth Vigée-Lebrun, en passant par Artemisia
Gentilleschi, Rosalba Carriera ou Angelika Kauffmann, l'artiste se
représente au travail, palette et pinceaux à la main, souvent en
train de donner la dernière touche à un tableau, entourée des
accessoires de l'atelier.
Vie de famille
Qu'elle fût peintre de
cour ou recevant des commandes privées, la femme peintre avait
besoin de modèles, qu'elle trouvait souvent dans son entourage
familial. A certaines époques, cela devient un sujet à part
entière, mettent en lumière l'amour maternel et une image de
l'éducation des enfants, basée sur la proximité et un certain
naturel, qui n'est pas sans évoquer les idées rousseauistes en
vogue à la fin du XVIIIe siècle. C'est spécialement le cas chez
Élisabeth Vigée-Lebrun et ses autoportraits de 1787 et 1789, ce
dernier en costume grec, accompagnée de sa fille Jeanne-Lucie. Dans
les deux tableaux, et de manière similaire à ce que l'on perçoit
dans les portraits de la même artiste représentant la reine
Marie-Antoinette entourée de ses enfants, la sensibilité et la
proximité émotionnelle entre la mère et les enfants sont mises en
valeur. [3] Chez Vigée-Lebrun, l'atmosphère est empreinte de
tendresse, de naturel, d'un réalisme qui rappelle le fait qu'il
s'agit d'un cadre privé, ce que même la cour deviendra
progressivement.
La mode
Si le décor de nombreux
autoportraits n'est souvent pas somptueux, ce qui amène le
spectateur à se concentrer davantage sur les traits et l'expression
du modèle-artiste, les vêtements celui-ci sont habituellement
d'une richesse et d'une qualité remarquables. Les modes évoluent au
cours des siècles et, même en se montrant en plein travail, les
femmes peintres exposent des styles vestimentaires très recherchés. Pourtant, dans
le costume grec de Madame Vigée-Lebrun, dans la robe traditionnelle
d'Angelika Kauffmann, dans le vêtement léger de Marie-Denise
Villers, dans la table de toilette de l'étonnant autoportrait de
Zinaïda Evguenievna Serebriakova (1884-1967), il y a bien plus que
le simple souci de réalisme et l'envie de suivre, ou de créer, des
modes. Le vêtement, l'accessoire, l'attitude et la façon dont
l'artiste accueille le regard du public sont également, au-delà de
la maîtrise technique, des moyens d'affirmation de soi, des moyens
de révéler son caractère unique.
Inma Abbet
[1] A la recherche
d'Anastaise
[2] Les autoportraits de
Sofonisba Anguissola, femme peintre de la Renaissance
[3] Le nouveau visage de
l'amour maternel
D'autres lectures sur le
sujet des femmes peintres
Sofonisba Anguissola, Autoportrait (1554) |
Artemisia Gentileschi, Autoportrait ou Allégorie de la peinture. (1630) |
Angelika Kauffmann, Autoportrait en costume de la Forêt de Bregenz, 1757 |
Marie-Antoinette de Lorraine-Habsbourg, reine de France et ses enfants, par Elisabeth Vigée-Lebrun |
Élisabeth Vigée-lebrun, Autoportrait à l'âge de seize ans |
Elisabeth Vigée-Lebrun, Autoportrait avec sa fille, 1789 |
Maie-Denise Villers, Autoportrait, vers 1800 |
Zinaïda Evguenievna Serebriakova, Autoportrait, 1909 |
Images : Commons Wikimédia (domaine public)
Merci pour cet article qui me fait découvrir certaines femmes peintres, dont Sofonisba Anguissola. Voulant en savoir plus j'ai trouvé sur un blog en espagnol un autoportrait datant de 1610, à 80 ans donc qui me semble particulièrement réussi.
RépondreSupprimer(ici: https://enclasedehistoria.wordpress.com/2014/10/30/sofonisba-anguissola-la-pintora-olvidada/)
Merci encore Inma.
Merci, celui qui me semble très touchant est "Le jeu d'échecs", parce qu'on y voit ses sœurs, également artistes.
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