Le Royaume de Rücken


À propos de Le Royaume de Rücken, de Dominique Pagnier

Personne ne semble échapper au Royaume de Rücken. Ni Wolfgang l’enfant prodige, ni son père Léopold, ni ceux qui, comme la jeune Marie-Antoinette, ont vécu toute une vie enfantine dans un monde en carton-pâte, un univers miniature paré des artifices les plus charmants : des jardins, des théâtres, des montgolfières, des boîtes à musique et des oiseaux chanteurs. Il possède une langue propre et des symboles indéchiffrables. Un domaine du merveilleux et de l’étrange qui, dans les régions allemandes et autrichiennes du XVIIIe siècle, reflétait la mosaïque de minuscules entités politiques : principautés, duchés, évêchés ou électorats. Un royaume fait de curiosité baroque, de fragilité chatoyante et de possibilités infinies, et qui finit invariablement par disparaître, parce qu’il ne peut être conservé dans une capsule de verre, comme les objets pieux d’autrefois. Artificiel, certainement, mais doté d’une cohérence esthétique indéniable. Aussi, parce qu’il est remplacé, à l’âge adulte, par le pays de « Vorne », par des rêves plus réalistes  -mais plus trompeurs et convenus-, qui ont le pouvoir d’exciter l’imagination tout en faisant oublier la nostalgie. L’empreinte du pays de Rücken demeure pourtant.
Néanmoins, si la reine pouvait  reconstituer le monde de ses rêves à l’échelle 1 :1 au Petit Trianon, il en va tout autrement pour Wolfgang et Léopold. L’enfant surdoué devenu adulte part pour Mannheim, ensuite, ce sera Paris, puis Vienne. Les contacts entre Wolfgang et son père se font rares et c’est davantage ce dernier qui continue de regretter les mirages du monde simple et prometteur de l’enfance, une époque ne connaissant ni les déceptions ni la peur de l’endettement. On assiste à des reproches épistolaires et à un amour paternel presque relégué aux oubliettes,  qui n’a plus l’occasion de s’exprimer dans la préparation des voyages ou la révision des partitions. Ce récit n’est pas une biographie de Mozart, ni de son père, mais une description du monde qui les entourait, de leur champ magnétique représenté par des jouets, des ballons ou des instruments scientifiques, par les mots issus du dialecte bavarois, par les coutumes d’un temps révolu, et par leur façon, enfin, de vivre la musique tout naturellement. Le narrateur évoque ainsi des berceuses et des opéras, le Jodel et le chant des oiseaux, la musique comme carrière et comme vocation, mais également comme atmosphère quotidienne.

Dominique Pagnier, Le Royaume de Rücken, Gallimard ‘L’un et l’autre’, 2012

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