La détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire
À propos de La détresse du
petit Pierre qui ne sait pas lire, de Chantal Delsol
Le système scolaire français
traverse une profonde crise. Il est touché à la fois dans son essence et dans
son fonctionnement, ne remplit pas sa mission principale et tend à exclure de
nombreux élèves qui auront un avenir professionnel des plus incertains. Les
raisons de cette évolution, entre l’instruction publique idéalisée du début du
XXe siècle et le système actuel, où certains quittent l’école sans maîtriser
des savoirs de base, comme la lecture et l’écriture, sont analysées de manière
très claire dans cet essai décliné en neuf chapitres, qui propose aussi des
solutions pour arrêter la longue déchéance de l’Éducation nationale. Les
solutions passeraient sans doute par une libéralisation du système scolaire,
pas pour des motifs idéologiques ou politiques, mais parce la machine, qui est
aussi centralisée et onéreuse qu’elle est inopérante, ne pourra éternellement
être financée dans la situation actuelle. L’auteur suggère qu’il vaudrait
certainement mieux innover au lieu de maintenir des structures de travail dans
l’institution et des méthodes d’enseignement et d’orientation qui ont bien
montré leur inefficacité. L’innovation implique nécessairement des mesures
libérales et la fin du monopole public.
L’un des maux qui affectent
l’école vient de la façon dont l’élève est considéré : l’idéologie
dominante qui y sévit depuis les années 60
a voulu réinventer l’enfant à l’aide de discours obscurs et prétentieux axés
sur une obsession égalitariste, destinée à créer une catégorie artificielle de
citoyen à part entière, doté de nombreux droits théoriques. C’est un monde
fermé sur lui-même, où l’on ne tient pas compte des différences géographiques,
familiales ou culturelles, où l’enseignement
d’opinions a remplacé celui de la réalité. Les méthodes pédagogiques deviennent souvent un jargon abscons et incompréhensible
aux non-spécialistes (et empêchent les parents de suivre la progression des
enfants, voire de les aider dans leurs difficultés) Elles sont à la source d’un
illettrisme persistant en raison des méthodes globales ou semi-globales d’apprentissage
de la lecture.
Cette idéologie vise apparemment à faire
entrer la démocratie dans l’école, en supprimant toute notion de hiérarchie et
d’autorité, en préconisant des « droits » à la libre expression, à la
parole, à la grève, droits qui ne sont accompagnés d’aucune responsabilité et
qui, pour cette raison, ne pourraient être exercés dans aucune société sans
mener tout le monde au chaos. Cette ouverture sur la « société civile »
crée davantage d’inégalités et d’inadaptations qu’elle ne prépare les élèves à
affronter le monde réel.
L’égalité, précisément, est l’objectif
affiché de l’école, et Chantal Delsol étudie cette question sous différents
angles : celui de la négation des différences, celui de l’inévitable
sélection, celui de l’argent… Si l’on
trouve parmi les élèves des différences de milieu social, d’accès à la culture
au sein de la famille, les vraies inégalités sont dues à l’hypocrisie de la
carte scolaire, qui empêche les parents de choisir librement l’école… La rigidité
de ce système imposé pour favoriser le mélange social (qui n’est pas plus
souhaité par les parents que l’idéal d’égalité et d’indifférenciation –chacun envisage,
pour soi et le siens, l’excellence, pas la médiocrité), génère tout naturellement,
lorsque l’école privée n’est pas atteignable un marché noir. Si tout marché
noir ou système D se base sur des principes d’amoralité et de corruption, celui
qui concerne les choix immobiliers ou de filières stratégiques pour être sûrs d’être
placés dans les « bons » établissements, et les parcours réservés aux
initiés, non seulement n’échappe pas à cette règle, mais creuse les inégalités
naturelles en favorisant les bien logés et les mieux informés.
Les conséquences qui dérivent
du fait d’être placé dans un établissement médiocre, vont se retrouver plus
tard lorsqu’il sera question de sélection, non avouée, qui commence
par des taux de réussite au baccalauréat immenses (qui dévalorisent plutôt le
diplôme, en le mettant systématiquement à la portée d’environ 80 % des élèves
et qui, en même temps, n’apportent aucune issue au 20 % restant, qui est
surtout utilisé comme prétexte), mais qui est mise en évidence quand une grande
proportion de ceux qui s’inscrivent dans les universités en sortent sans
diplôme, ou avec un diplôme tout aussi dévalorisé dans le marché du travail,
car l’égalité par décret conduit l’ensemble à un nivellement par le bas.
La suite de l’ouvrage se penche
sur d’autres questions qui surgissent inévitablement dès qu’on confond égalité
et idéologie égalitariste. Le problème de l’argent se fait de plus en plus
clair dans un système centralisé, employant presque un million de personnes,
reposant sur le principe de gratuité.
Or la gratuité n’existe pas réellement, tous les biens ont un prix, et dans ce
cas, le prix est payé de manière involontaire par l’ensemble des contribuables
qui n’ont pas leur mot à dire quant aux programmes, au personnel ou au
fonctionnement de l’institution. Et tout cela pour des petits résultats… Un
gouffre financier que l’on s’applique toujours à creuser davantage en annonçant
« plus de moyens », répartis selon une logique bien particulière. Un
système coûteux qui suscite le mécontentement général, surtout parce qu’il est
improductif. Car l’égalitarisme ne s’étend pas seulement au rapport à l’argent,
mais aussi à l’intelligence et au savoir. Certains métiers –intellectuels-
étant plus prestigieux que d’autres, on pousse un nombre considérable d’élèves
dans des filières pour lesquelles ils n’ont ni les capacités ni la vocation,
tout en délaissant les filières techniques, contrairement à ce qui se passe
dans d’autres pays, comme la Suisse ou l’Allemagne, ou les apprentissages sont
justement prisés comme une voie d’accès à l’emploi.
En France, le résultat de
cet esprit contradictoire d’égalitarisme et d’adoration d’une élite se compte
en plus d’une centaine de milliers d’élèves qui, chaque année, quittent le
système scolaire sans aucune qualification (baccalauréat, BEP, CAP …). Dans
cette atmosphère, les enseignants ne sont pas réellement mieux lotis que les
élèves : une profession qui a perdu beaucoup de son ancien prestige, éloignée
du monde de l’entreprise, à laquelle l’on demande de moins en moins de
connaissances et de plus en plus de compétences dans le domaine de la
surveillance, de l’éducation à la place de la famille, du service social… Ce n’est
pas un métier qui risque d’attirer à l’avenir les profils les plus brillants,
avec les conséquences qu’on imagine facilement.
Le dernier fléau qui contribue
au lent effondrement du système est son caractère planifié, où les décisions
individuelles sont absentes et qui produit de ce fait l’irresponsabilité à tous
les niveaux. Pour reformer l’école, il faudrait des mesures réalistes, pas
inspirées d’utopies anachroniques qui ont suffisamment prouvé leur inutilité.
Ces mesures sont des mesures libérales : libre choix de l’école, développement
de l’enseignement privé, fin du monopole étatique, en finir avec l’injustice
subie par ceux qui payent deux fois (en contribuant aux dépenses publiques pour
une école qu’ils n’utilisent pas et en finançant l’éducation privée
hors-contrat pour leurs enfants), autonomie des établissements, décentralisation
abolition du fonctionnariat, « chèque scolaire », … Les pistes sont
diverses, elles correspondent à des besoins réels, mais pas à des volontés
politiques claires, car la liberté éducative se heurte encore à de nombreux
préjugés et peurs. Et pourtant, ces politiques réussiraient à créer une école
viable et réaliste.
Le dernier chapitre du livre
est consacré à l’université, qui cristallise toutes les difficultés de l’école.
Là, aussi, l’autonomie et le lien avec le monde du travail sont des points
essentiels, et les réformes possibles passent bien entendu par une ouverture à
la concurrence et par une autorisation à délivrer des diplômes, dont la
légitimité serait assurée par la qualité de l’enseignement, par son rayonnement
culturel propre, et par l’intérêt des cursus en termes professionnels. C’est bien
dommage que des idées si pertinentes trouvent si peu d’écho dans l’institution
elle-même, dans les médias et in fine,
auprès des premiers intéressés : élèves, enseignants et parents. Mais
lorsque de telles initiatives sont évoquées, elles servent trop souvent de
repoussoir, alors qu’elles pourraient à leur manière sauver l’école, et lui rendre un nouvel essor.
Inma Abbet
Inma Abbet
La détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire, de Chantal Delsol, Plon, 2011
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