La Fabrique des parfums. Naissance d'une industrie de luxe


à propos de : La Fabrique des parfums. Naissance d'une industrie de Luxe, d'Eugénie Briot

   L'histoire du parfum met en lumière de nombreuses richesses culturelles, des significations, relevant aussi bien de l'histoire de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle que de celle des mœurs, aussi bien de l'histoire de l'art que de la religion ou de la littérature, pour beaucoup tombées dans l'oubli. L'élément olfactif accompagne toute activité humaine mais, souffrant encore d'une image d'objet superflu, de caprice vaniteux et raffiné, le parfum reste la plus mystérieuse et ambivalente des substances. La Fabrique des parfums nous propose d'explorer ce monde à la fois connu et méconnu en suivant différentes pistes, des traces dans l'histoire qui permettent, sinon de reconstituer l'évanescente nature du parfum, du moins de considérer son impact et son rôle à un moment de son histoire ou, tout en restant un article luxueux, il commence à être fabriqué en série et vendu dans le monde entier, au point de devenir un symbole d'une élégance très française, souvent associé à la haute couture. Les traces, on les trouve dans l'Ancien et le Nouveau Testaments, dans la littérature et les textes de lois, mais aussi dans les rapports des Expositions universelles, la publicité, les manuels de bonnes manières, les brevets ou les documents commerciaux, concernant les débuts de l'industrialisation de la parfumerie.

Les parfums jouaient un rôle dans la prophylaxie et l'hygiène jusqu'au XIXe siècle, avant d'être davantage des produits de luxe. On croyait autrefois que les épidémies étaient dues aux mauvaises odeurs. De ces croyances dérivent des expressions comme « peste » ou « pestilence » pour désigner la maladie, contre laquelle les extraits de racines, de fleurs et d'herbes aromatiques devaient être efficaces. En même temps, comme pour toute préparation thérapeutique, la notion de parfum n'était jamais loin de celle de poison. Ainsi, la légende tenait Catherine de Médicis pour instigatrice de nombreux empoisonnements, dont celui de Jeanne d'Albret, par le biais de gants parfumés. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle, grâce à la découverte des bacilles et de leur rôle dans les épidémies, et à l'amélioration de l'hygiène dans les villes que l'odeur cesse d'être considéré comme le signe distinctif de la contagion (et de l'empoisonnement). Mais si plus personne ne croit à l'influence des odeurs sur la santé physique, il en va autrement du psychisme. La littérature confirme ce glissement du parfum en tant que médicament vers le parfum en tant que substance énigmatique et puissante par sa capacité d'évocation, et également par sa nature venimeuse. Et dans la poésie ou le roman, il ne s'agit pas de parfums fabriqués de manière artisanale ou industrielle, mais de fragrances florales ou, notamment comme motif romantique, de parfum exotique. Le XIXe siècle sera aussi celui des « sels » et des eaux de Cologne utilisées pour réveiller les élégantes évanouies, ou tout simplement des odeurs entêtantes, reprenant l'ancien thème du poison, comme chez Barbey d'Aurevilly, qui décrit superbement dans Les Diaboliques l'éternelle ambiguïté de ce qui est à la fois symbole d'une nature domestiquée et paisible (les fleurs de serre) et instrument de meurtre (le poison indécelable qui « dissout les liens de la vie plus qu'il ne les rompt »).

   Cette ambivalence dans les usages réels ou supposés du parfum dans sa dimension thérapeutique apparaît également dans d'autres emplois cosmétiques ou rituels. La Bible mentionne les arômes à divers endroits. Des arômes qui n'ont pas de prix, mais dont on se sert généreusement, chez Judith, Esther ou Marie Madeleine, sans oublier les cadeaux des Rois Mages. La dimension sacrée est cependant concurrencée, depuis l'Antiquité, par d'autres usages considérés moins nobles ou plus dangereux : ceux du paraître et de la séduction qui entraînent une méfiance généralisée à l'égard des pouvoirs, réels ou supposés, du parfum. Au XIXe siècle, dans un contexte où la parfumerie n'est plus une spécialité pharmaceutique ni, en dehors de l'encens consommé à l'église, un domaine ayant un quelconque lien avec la religion, l'industrie du luxe se développe en France. Les senteurs à la mode vont être ceux qui rappellent la propreté et la fraîcheur, telles la lavande, la violette ou le citron, et cela à une époque où l'hygiène laisse souvent à désirer. Se parfumer excessivement n'est pas bien vu ; tout comme les parfums intenses ou le maquillage. Les débuts de la parfumerie moderne ont pourtant créé des modes olfactives comme il existait des modes vestimentaires. Le rapport à la féminité plus prononcé, dû à la disponibilité d'une gamme plus large et plus changeante de senteurs, et la dimension érotique et sensuelle du parfum vont être façonnés dans ces années.

   En un siècle, les chiffres du commerce de la parfumerie passent de 2 millions à 80 millions de francs, un développement qui s'accentue au cours de la décennie 1880-1890. C'est aussi une industrie qui s'internationalise, qui connaît des moments d'essor et de crise, et cela a des conséquences inattendues pour des produits qui tombent en désuétude en raison de difficultés de conservation lors de l'exportation, au bénéfice d'autres. Les parfums qui se vendront et s'exporteront le mieux seront ceux contenant de l'alcool, contrairement à ceux sous forme de lotion ou de pommade. Des formules qui se sont maintenues jusqu'à aujourd'hui. Malgré les innovations dans le domaine de la chimie, les produits proposés par l'industrie restent assez traditionnels : eaux de Cologne, eaux de toilette ou de parfum. Les matières premières sont toujours les mêmes : des huiles essentielles, des substances végétales ou animales, de l'alcool... La différence apparaît surtout dans les méthodes d'extraction et dans l'utilisation de parfums de synthèse.

  L'histoire de la parfumerie moderne commence avec Jicky, créé par Aimé Guerlain, car c'est l'un des premiers parfums de luxe à utiliser des notes de synthèse, mais ce succès est arrivé après une longue période qui débute avec l'étude des composants des huiles essentielles. Entre 1880 et 1914, les travaux d'Otto Wallach sur la chimie des terpènes se traduisent par l'obtention de composés comme le terpinéol, ou l'eucalyptol ; aussi, dès les années 1850, plusieurs composés aromatiques fruités ont été crées, notamment pour l'industrie alimentaire. Ils vont être peu à peu incorporés dans la parfumerie de luxe, à commencer par l'héliotropine. Ces matières premières posaient néanmoins des problèmes de coût, voire de toxicité, mais la synthèse du musc, en 1888, a montré les immenses possibilités de l'industrie chimique face à des matières premières chères ou difficiles à obtenir. À côté des ces questions de chimie, les méthodes d'extraction des huiles essentielles restent assez traditionnelles, comme la distillation ou l'enfleurage à chaud ou à froid. Mais au cours du XIXe siècle, l'extraction des corps odorants à l'aide de solvants a été mise au point, ce qui favorisait la conservation des essences ainsi obtenues et évitait les résidus de graisse. L'industrie de la parfumerie s'installera dans un lieu traditionnel, la ville de Grasse, déjà connue pour l'activité des gantiers-parfumeurs, surtout pour la culture et le traitement des matières premières, mais d'autres centres deviennent tout aussi importants, comme Paris et sa région. On peut suivre dans le livre les différentes phases des débuts de l'industrie et de tout ce qui entoure, et qui se cache, derrière les beaux flacons : de la recherche, des essais, des brevets, des machines, des usines qui se modernisent... Du côté des amateurs de parfum, seule une publicité de plus en plus imaginative est perceptible. L'industrie du parfum vend aussi du rêve, cela n'a jamais changé, mais les innovations dans la création et la production des parfums ont fait évoluer la notion même de luxe.

  La Fabrique du parfum est un ouvrage passionnant, enrichi de nombreuses références et d'une bibliographie qui prend en compte chaque sujet traité.



à propos de : La Fabrique des parfums. Naissance d'une industrie de Luxe, d'Eugénie Briot. Vendémiaire, 2015


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