Escales
à propos de Escales, de
Frédéric Vallotton
Les escales, de
l'italien scala, étaient les échelles utilisées pour
descendre à terre lorsqu'un bateau accostait dans un port et sont
devenues, par extension, le port lui-même et la ville dont il
dépend. Dans ce dernier sens, le mot est toujours utilisé dans la
navigation, maritime ou aérienne, mais aussi pour décrire les
fragments urbains proposés dans tous les paquebots de croisière. Un
voyage de Stockholm à Saint-Pétersbourg par ce moyen est ainsi le
fil conducteur de ce récit qui évoque bien d'autres voyages,
surtout dans de grandes villes européennes, alors que le paquebot
est également conçu comme une cité moderne, avec ses cafés, ses
restaurants, ses boutiques, ses foules et son ennui. Une ville
pourtant passionnante parce qu'éphémère - sa population ne
cohabite que quelques jours-, et parce que, l'espace d'une journée
et à plusieurs reprises, cet univers frivole et confortable, qui
tient davantage de l'hôtel de luxe que du navire, cette immense
table rase est accolée à une vraie ville, un territoire avec une
identité, une saveur particulière et d'innombrables traces de
l'histoire et de la culture. Cette étrange manière de se déplacer
(quand on y pense) est ainsi propice aux télescopages et aux
réflexions. Pour le narrateur, il est question d'emprunter le mode
de vie du « blaireau de luxe », de se situer du « mauvais
côté », celui du tourisme de masse, qui n'a pas véritablement
accès à ce qui caractérise les différents paysages, d'interroger
le mystère des villes, par manque de temps ou de prétextes. Mais
rien n'empêche de fines observations très amusantes sur la cuisine
italienne et sa présentation fractionnée des plats, sur le commerce
et les enseignes de prêt-à-porter que l'on trouve partout, sur
l'ambiance à la fois kitsch et impersonnelle du décor... Il y a
également dans la croisière, en tant que thème littéraire, une
affaire de goût qui ne se résout pas facilement dans l'ironie ou la
perplexité -ou alors l'ironie deviendrait une fermeture devant la
multiplication des points de vue qu'offrent ces escales- ; parce
que la vie sur le bateau est agréable, surtout quand l'expérience
est vécue avec émerveillement, avec un regard neuf, comme l'est
souvent celui des enfants, ce que le narrateur ne manque pas de
remarquer. Et un regard neuf est essentiel pour conserver le charme
des éternels départs.
En toile de fond se
trouve un autre petit port, lacustre et attachant, celui de Morges,
où se trouvent les géographies familières du narrateur, son foyer
et son église, seul point fixe au milieu de nombreuses fugues, des
lignes parfois croisées, car les itinéraires se répètent sans
jamais être tout à fait les mêmes. Ces lignes mènent souvent à
Berlin ou à Vienne, à la recherche d'une Mitteleuropa de l'art et des livres, celle des romans de Thomas Mann, celle imperméable à la
modernité qui se démode rapidement. Ces lignes conduisent aussi à
New York, au Canada ou à Ibiza. Loin des repères temporels, elles
représentent des moments forts, des coupures, des anniversaires ou
simplement une liberté en mouvement.
Escales, de
Frédéric Vallotton, Olivier Morattel éditeur, 2016
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