Signac. Une vie au fil de l'eau
à propos de l'exposition
Signac. Une vie au fil de l'eau à la Fondation de
l'Hermitage, Lausanne
Les enseignements et
les effets du mouvement impressionniste ont été riches et durables,
ouvrant la voie à des styles qui prolongent la réflexion sur la
couleur, la forme et la représentation de la réalité, sur les
propriétés de la lumière et l'importance du point de vue du
spectateur. L'un de ces styles sera appelé, d'après le critique
Félix Fénéon, néo-impressionnisme, mais deviendra aussi connu
sous les noms de chromo-luminarisme, d'impressionnisme-luminisme, de
peinture optique (des expressions utilisées par Georges Seurat), et
surtout de divisionnisme. Dans cette effervescence
expérimentatrice et créatrice des années 1880, de nombreux
peintres ont gardé des aînés impressionnistes un goût certain
pour la lumière naturelle et ses variations selon le moment de la
journée, mais le traitement de la clarté et la façon dont celle-ci
crée ou suggère les éléments du paysage vont être renouvelés.
Avec Seurat, l'un des
principaux acteurs de l'école néo-impressionniste, Paul Signac
(1863-1935), était également son théoricien. Ses connaissances sur
la couleur s'inspiraient notamment des travaux du chimiste Eugène
Chevreul : « Ces lois de la couleur peuvent en quelques
heures s’apprendre. Elles sont contenues dans deux pages de
Chevreul et de Rood. L’œil guidé par elles n’aurait plus qu’à
se perfectionner. Mais, depuis Charles Blanc, la situation n’a
guère changé. On n’a rien fait pour propager cette éducation
spéciale. Les disques de Chevreul, dont l’usage amusant pourrait
prouver à tant d’yeux qu’ils ne voient pas et leur apprendre à
voir, ne sont pas encore adoptés pour les écoles primaires, malgré
tant d’efforts dans ce sens qu’a faits le grand savant. C’est
cette simple science du contraste qui forme la base solide du
néo-impressionnisme. » (1) Dans la définition d'un art se
réclamant du développement des sciences et qui cherchait « le
mélange optique de pigments uniquement purs », « la
séparation des différents éléments », « l'équilibre
de ces éléments et leur proportion » et « le choix
d'une touche proportionnée à la dimension du tableau »,
Signac revendiquait l'héritage de Delacroix dans sa préférence
pour les coloris brillants et l'éblouissement, dans son rejet des
teintes terreuses et grisâtres ; il reconnaissait aussi les
apports de la peinture impressionniste. Ainsi, au lieu d'être
mélangées, les couleurs devaient apparaître juxtaposées et il
reviendrait au spectateur de composer et de recomposer les
différentes nuances et tonalités en s'éloignant du tableau. Dans
ces techniques, il y a le souvenir des hachures de Delacroix et des
virgules impressionnistes. Des touches qui sont parfois considérées
-à tort- des points. « Hachures, virgules, touches divisées
sont trois moyens conventionnels identiques, mais accommodés aux
exigences particulières des trois esthétiques correspondantes
(...) ». La forme des touches n'est pas figée, ce qui compte
est leur couleur et leur position dans le tableau pour obtenir
davantage de lumière, et Signac a appliqué ces idées à son sujet
de prédilection : l'univers maritime et fluvial.
Et c'est ce qui
révèle à Lausanne cette exposition, issue d'une collection
privée, ayant pour thème et fil conducteur la passion de l'artiste
pour la mer. Au fil de l'eau et des voyages, on trouve des ports et
des installations portuaires, les ponts de Paris ou de Venise, mais
aussi Rotterdam et Constantinople le Mont Saint-Michel, les bateaux
et les villes vues depuis la mer, sans oublier les activités
propres à ces lieux, pour beaucoup déjà industrialisés. Autant
d'occasions propices à d'infinies variations lumineuses interprétées
aussi bien à la peinture à l'huile qu'à l'encre de Chine, dans de
grands lavis préparatoires, ou encore l'aquarelle, que l'artiste
commence à utiliser à partir des années 1890, lorsqu'il s'installe
à Saint-Tropez, et qu'il continue d'employer jusqu'à la fin de sa
vie, dans la série des cent Ports de France. Les paysages
méditerranéens offrent des contrastes appuyés et un choix
chromatique original et surprenant. Les aquarelles montrent
l'évolution d'un trait qui s'adapte à la description de
l'environnement, des touches qui suggèrent le mouvement des voiles,
le vent ou les vagues. Par ailleurs, une partie de l'exposition est
dédiée aux bases théoriques du néo-impressionnisme concernant
l'optique, et on y découvre également des œuvres d'autres
peintres néo-impressionnistes comme Maximilien Luce, Théo van
Rysselberghe, Camille Pissarro et Henri-Edmond Cross. Entre
inspiration et quête d'une définition précise de la lumière et de
la couleur.
Signac. Une vie au fil de l'eau,
du 29 janvier au 22 mai 2016. Fondation de l'Hermitage, Lausanne
(1) Toutes les citations entre guillemets sont extraites de l'ouvrage
de Paul Signac, D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme,
Paris, H. Floury, 1921
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