Devant une fenêtre
Mystérieux tableaux
1 Devant une fenêtre
Comme une
représentation simultanée de la vie extérieure et intérieure, de
l'activité et du repos, de l'ouverture et de l'introspection, les
figures féminines devant des fenêtres sont des motifs classiques de
la peinture depuis l'époque où celle-ci met en scène la vie
quotidienne de manière réaliste, dans des maisons qui ne sont ni
des palais ni des églises, dans des cafés et des ateliers. Si le
sujet de la fenêtre apparaît à la Renaissance, il se multiplie
chez les peintres hollandais du XVIIe siècle. Chez Vermeer, la
liseuse montre un profil délicat, surtout intéressée par sa
lettre. Du monde qui se trouve dehors, presque rien ne transparaît,
seulement la lumière qui se reflète sur les carreaux de verre. Les
œuvres de Pieter de Hooch et de Pieter Janssens Elinga comptent
également des exemples de figures féminines vues de dos, à
contre-jour, mais le regard est ailleurs : dans
l'accomplissement de tâches ménagères ou de jeux de société. La
fenêtre est dans ces cas un élément du décor et de la
perspective, voire une ombre dorée sur un mur ; elle n'est pas
encore un horizon suggéré dans le tableau. Précédant de quelques
années (ou de quelques décennies) de Hooch et Vermeer, Jacob Vrel
a également peint quelques scènes intimistes où les fenêtres
jouent un rôle essentiel. Chez cet artiste, dont on sait peu de
choses, les logis modestes et curieusement vides hébergent des
femmes qui semblent observer ce qui se passe dans la rue, ou faire
signe à d'autres personnages, comme dans cette toile où une femme
assise sur une chaise en train de basculer vers l'avant s'adresse à
une petite fille qui se trouve de l'autre côté, représentée par
un petit visage blême, baigné par une clarté lunaire. Ces
ouvertures dans l'univers domestique de la peinture hollandaise
créent avant tout l'illusion d'un lieu plus vaste lorsqu'il s'agit
de peindre des pièces exiguës et sombres, donnant du relief aux
meubles et aux objets, mais elles évoquent aussi une zone plus vaste
et inaccessible, un ailleurs invisible transcrit en ombres et reflets
qui n'est pas un élément narratif.
Lorsque la peinture
romantique s'empare du motif de la femme à la fenêtre, elle en fait
une mise en abyme. C'est le cas du portrait, par Antoine Duclaux, de
la Reine Hortense à Aix les Bains où l'on peut distinguer
deux espaces picturaux d'importance égale. La pergola sous laquelle
se trouve la reine, où l'on voit aussi une chaise et un petit chien,
et le paysage idyllique des montagnes, au fond. La fenêtre est
l'élément central du tableau et le regard du spectateur suit ce qui
devrait être le regard du personnage. Chez Caspar David Friedrich,
-Femme à la fenêtre-, l'espace est fragmenté en zones
éclairés et sombres, mais le paysage apparaît du moins
partiellement devant le personnage. Le rectangle de lumière raconte
la ville, la campagne, un paysage fluvial qui laisse entrevoir des
arbres et le mât d'un voilier, une lumière vive qui contraste avec
la pénombre et ce qu'on devine du silence de l'atelier du peintre,
qui était la pièce d'origine, comme semble l'indiquer le tableau de
Georg Friedrich Kersting, Caspar David Friedrich dans son atelier
(1811). Le contraste, dans ce cas entre le lieu de travail sobre et
ce que l'on entrevoit de la nature à l'extérieur, est une constante
dans ce thème pictural. Un contraste accentué par l'attitude du
personnage représenté. L'absence de l'expression du visage, en
gardant celle du corps, rend la scène énigmatique et propice à de
nombreuses possibilités d'interprétation. L'artiste a-t-il exprimé
la nostalgie et le désir d'être ailleurs du personnage ? Le
confort du foyer et l'idée de voir sans être vu ? La curiosité
et l'envie de savoir ce qui se passe dans la rue ? La peinture
du XIXe siècle exploite souvent ce thème, parfois avec des
personnages masculins, comme chez Gustave Caillebotte ou dans la
célèbre aquarelle représentant Goethe à la fenêtre de sa
maison romaine sur le Corso (1787), de Johann Heinrich Wilhelm
Tischbein, ou encore dans les intérieurs pâles et glaciaux de
Vilhelm Hammershøi. Dans tous les cas, ce motif se caractérise par
l'absence de tout message explicite. Le point de vue du spectateur
est celui de l'imagination, de l'hypothèse qui vient combler et
compléter ce qui pourrait être raconté. On peut aussi
penser à la vision que Baudelaire avait de telles scènes, mais
regardées du côté de la rue, dans son poème en prose justement
intitulé Fenêtres.
Par delà des vagues
de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre,
toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son
visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai
refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et
quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, Les Fenêtres
Pieter Janssens Elinga, Femme lisant |
Jacob Vrel, actif vers 1654-1670?, Femme à la fenêtre faisant signe |
Caspar David Friedrich, Femme à la fenêtre (1822) |
Vilhelm Hammershøi, La très haute fenêtre, 1913 |
Goethe à la fenêtre
de sa maison romaine sur le Corso (1787),
de Johann Heinrich
Wilhelm Tischbein
|
Antoine Duclaux, La Reine Hortense à Aix les Bains, 1813
|
J'aime beaucoup ce billet et vos choix de peintures. Celle de "La femme à la fenêtre faisant signe" est saisissante quand on affiche l'image en la zoomant. Je la trouve bouleversante.
RépondreSupprimerJe vous imaginerais plutôt en "Reine Inma" devant sa fenêtre (*_*)
Merci :-) Ce sont les merveilles quasi oubliées de l'art, ancien ou moderne.
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