Un tableau : Jacopo de' Barbari, Portrait de Luca Pacioli

Un tableau : Jacopo de' Barbari, Portrait de Luca Pacioli

   Conservé au musée napolitain de Capodimonte, le portrait du mathématicien Luca Pacioli (1445-1514), peint vers 1500 et attribuée à Jacopo de' Barbari est à plus d'un titre étonnant. Rares sont les données sûres sur ses origines, son auteur ou la date probable d'exécution. Seule la signature, inscrite dans le décor sous la forme d'un petit papier plié, le « cartiglio », où se pose une mouche, mentionne « Jaco.Bar. Vigen 1495 ». Nul ne sait si cette inscription fait allusion à l'auteur ou au commanditaire (Ludovic Sforza, en ce temps-là duc de Bari). La toile apparaît pour la première fois en 1631, dans un inventaire des collections du palais ducal d' Urbino, sans autre information concernant son acquisition. Ensuite, quelques données sur sa destination ultérieure, d'Urbino à Naples en passant par Florence, au gré des héritages.

   Le savant, vêtu de l'habit franciscain, se tient au centre du tableau dans un intérieur au fond sombre, où la lumière semble venir des deux côtés. Aucune fenêtre n'est visible, mais des reflets balaient la pièce. Une table au premier plan recouverte d'un tapis vert supporte des objets caractérisant le travail de Pacioli : des livres, une ardoise où une circonférence a été dessinée, une équerre, un compas, un polyèdre, autant de signes d'expérimentation et d'étude de la géométrie... L'abondance d'objets épaissit le mystère concernant la signification du tableau. À côté du mathématicien se trouve un jeune homme, vêtu d'un manteau doublé de fourrure et portant de longs cheveux bouclés, dont l'identité est inconnue : s'agit-il de Guidobaldo da Montefeltro, dans son rôle d'amateur de mathématiques et de mécène auquel la Summa de Arithmetica, publiée quelques années plutôt a été dédiée ? Cela semble assez improbable, compte tenu de l'absence de ressemblance entre ce portrait et celui peint par Raphaël, représentant le duc d'Urbino. Peut-être Albrecht Dürer, que le peintre a rencontré à Venise ? Ou peut-être Galeazzo Sanseverino, également une figure emblématique de la Renaissance, et dédicataire, avec Ludovico il Moro, du traité De Divina Proportione. Aussi, les traits du jeune homme représenté dans le portrait de Pacioli ressemblent à ceux du Musicien de Léonard de Vinci. Mais le plus curieux, et le plus léonardesque aussi, est l'objet suspendu au premier plan, une figure géométrique aux parois transparentes, en verre ou en cristal, un rhombicuboctaèdre, un solide d'Archimède possédant huit faces triangulaires et dix-huit faces carrées, à moitié rempli d'eau qui accroche la lumière. La présence de cette forme rappelle un autre traité majeur de Pacioli, De Divina Proportione, dont la composition date des années 1496-98 à Milan -publié pour la première fois en 1509 à Venise- et dont les illustrations de polyèdres similaires à ceux que l'on voit sur le portrait sont l’œuvre de Léonard. De Divina Proportione est un ouvrage en trois parties consacré à la proportion mathématique, qui analyse le sujet du nombre d'or et ses applications, étudie les livres d'architecture de Vitruve et traduit le traité de géométrie de Piero della Francesca. Comme pour la Summa, il y a une volonté de relier, de rassembler, de montrer et de démontrer les connaissances anciennes et récentes, entre admiration et pédagogie, que l'on peut certainement retrouver dans le tableau. Il y a une volonté de lier l'abstraction des sciences à la présence humaine. Sans oublier l'importance du langage. Si le dessin est indissociable de l'écriture, les lettres ont toute leur place dans la peinture, rendant le tableau réellement lisible, bien que des clés d'interprétation nous manquent. Ainsi, chaque instrument est un signe : le livre ouvert où Pacioli pose la main gauche est l'incunable Elementa in artem geometriae et Campani commentationes, tandis que la droite, munie d'une baguette, montre graphiquement sur le tableau la proposition euclidienne commentée. C'est un tableau à lire autant qu'à regarder.

Inma Abbet


Jacopo de' Barbari, Portrait de Luca Pacioli (1500?) Pinacoteca di Capodimonte




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