Ce que je remarque
habituellement en premier, en regardant des tableaux réalisés entre
le dernier tiers du XIXe siècle et le début du XXe siècle, au-delà
de la multiplicité des styles, est une absence. Quelque chose s'est
perdue avec la révolution de la forme que représentait
l'Impressionnisme : l'ensemble des thèmes et des sujets qui
étaient jusqu'à ce moment le point de départ, le prétexte, voire
le mode d'expression principal des artistes. C'est ainsi que les
scènes d'inspiration mythologique, historique, religieuse ou
littéraire ont quasiment disparu des œuvres picturales à cette
époque-là, pour ne revenir que dans des courants comme le
symbolisme et l'Art nouveau. Mais la mythologie, la religion,
l'histoire ou le roman sont définitivement absents des avant-gardes
artistiques. La réaction contre l'académisme, contre le romantisme
devenu goût bourgeois, s'est traduite par une mise à l'écart de
toute forme de récit dans la peinture, du moins de manière
explicite. Aussi, avec l'Impressionnisme, l'extraordinaire et le
dramatique se sont dissous dans l'ordinaire, le quotidien a acquis en
revanche des traits mystérieux, mais ce sont avant tout la
subjectivité et la singularité formelle qui ont pris le dessus, et
le vide a été rempli par des sujets, certes traditionnels, comme le
paysage, le portrait, la nature morte, la scène d'intérieur... Où
chaque artiste pouvait imprimer son caractère unique tout en
renouvelant des codes anciens. C'est de cette singularité formelle
dont il est question dans l'exposition Hodler, Monet, Munch, à la
Fondation Gianadda, de Martigny, avec un choix d’œuvres des trois
peintres, où le fil conducteur est le traitement du paysage et
notamment de l'eau : lacs, rivières, mais aussi atmosphères
pluvieuses ou enneigées. Diversité de saisons et de climats, mais
aussi de styles. La vision réaliste ou impressionniste évolue vers
une conception de plus en plus abstraite, chez ces trois artistes qui
n'ont pas beaucoup de points commun en principe, si ce n'est d'avoir
vécu à la même époque et d'être amateurs de voyages. Ils ne se
sont jamais rencontrés et ils sont généralement classés dans des
courants picturaux différents. Pourtant, leurs œuvres sont habitées
par une semblable recherche de la lumière et du caractère unique de
chaque lieu, une recherche développée par l'utilisation de
couleurs audacieuses pour offrir un aspect inattendu à des éléments
naturels comme le sable, la neige, ou l'eau, et surtout pour
représenter la distance qui sépare l’œil du peintre de certains
objets de la scène.
Vues lacustres – La
pluie
Le lac est un motif
très fréquent dans l’œuvre de Ferdinand Hodler (1853-1918). Dans
des tableaux qui semblent avoir toujours été peint depuis le même
point de vue, avec des dimensions semblables, le paysage lacustre, et
le regard du spectateur, sont bordés par un horizon divisé en deux
parties : les montagnes et le ciel. Au milieu, que ce soit pour
les vues du Léman ou pour celles du lac de Thoune avec, au loin, la
chaîne du Stockhorn, l'eau est une étendue lisse, miroitante,
composée de nombreuses nuances de bleu et de vert. Face aux
tonalités froides et bleutées du lac et du ciel, les montagnes
forment des ensembles massifs de traits sombres et de couleurs
opaques qui suggèrent le relief, l'anfractuosité, les ombres parmi
les sommets enneigés... Cependant, la distance entre le spectateur
et les montagnes est visiblement considérée dans le traitement des
formes et des couleurs. Cela revient à peindre l'espace vide, une
idée qui relève de l' impossible, et qui se manifeste, dans
un autre registre, chez Claude Monet (1840-1926). Les jardins et
feuillages de Monet possèdent également cette dimension de prise en
compte de l'éloignement du regard dans le mélange et la
recomposition chromatiques, dans le flou et également dans les
grandes compositions qui offrent des perspectives très différentes
selon qu'elles soient regardées de près ou de loin. On peut trouver
quelque chose de similaire dans certaines scènes peintes par Edvard
Munch (1863-1944). Dans La Pluie, l'eau est représentée à
travers le carrelage d'une terrasse, qui devient surface
réfléchissante. Cette zone du tableau se trouve dans l'angle
inférieur, et le spectateur regardera plus facilement l'horizon avec
les arbres, ou les deux figures féminines du premier plan, que le
carrelage. Il y a probablement, un jeu intéressant dans
l'éloignement et le rapprochement que l'on peut établir ici, et
dont les différents plans sont de nature à créer une atmosphère
remarquable, ou, encore de peindre ce qu'on ne peut pas voir.
Cette exposition résulte
d'un partenariat entre le Munchmuseet d'Oslo, le musée Marmottan
Monet , avec la contribution de diverses collections privées
suisses, en particulier la collection de Christoph Blocher et celle
de la Fondation pour l'art, la culture et l'histoire, pour ce qui
concerne les œuvres de Hodler. L'exposition a eu lieu à la fin de
l'année 2016 au musée Marmottan.
Inma Abbet
à propos de l'exposition Hodler,
Monet, Munch. Peindre l'impossible, à la Fondation Pierre
Gianadda, Martigny, du 04 février au 11 juin 2017
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Ferdinand Hodler, Le Léman vu de Chexbres, coll. Christoph Blocher |
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Edvard Munch, Été à Kragerø, coll. privée |
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Edvard Munch, Été à Kragerø, détail |
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Edvard Munch, La Pluie, Nasjonalmuseet, Oslo |
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Edvard Munch, La Pluie, détail |
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Claude Monet, Impression soleil levant, Musée Marmottan Monet, Paris |
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Claude Monet, Pont Japonais, 1922-1924 |
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Claude Monet, Pont Japonais, détail |
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