Une collection très particulière
À propos de : Une collection très particulière, de
Bernard Quiriny
La Bibliothèque
de Babel de Borges nous offrait une vision du monde déclinée dans un
recueil infini, contenant non seulement tous les livres existants mais
également tous les livres possibles,
issus de toutes les combinaisons linguistiques virtuelles. Avec ces nouvelles
dont les héros sont, entre autres, des livres
gigognes, -des textes pouvant être décomposés et recomposés pour obtenir d’autres
textes, des romans ennuyeux regorgeant de messages cachés- l’idée borgésienne
est au cœur de cette anthologie de l’excentricité littéraire empreinte d'humour absurde. Le bibliophile Pierre
Gould guide le narrateur et le lecteur dans un cabinet de curiosités contenant
non seulement des ouvrages, mais aussi des villes improbables et des écrivains
imaginaires, sans oublier d’étranges perspectives d’une société qui devrait
accepter la possibilité de ressusciter, celle de rajeunir à volonté, ou
celle de changer de nom et de prénom autant de fois qu’on le souhaite, si
fréquemment que les gens oublieraient comment ils ont décidé de s’appeler…
Quant
aux collections, elles regroupent de nombreuses possibilités extrêmes de la
littérature : des œuvres distillant un ennui si efficace que toute phrase
est destinée à être oubliée aussitôt lue, des livres de cuisine aux recettes
empoisonnées, des romans qui ne supportent plus la médiocrité de leurs auteurs
et qui se retouchent et corrigent tous seuls, des univers fictifs si puissants
qu’ils finissent par avaler et enfermer les malheureux écrivains ;
certains livres parviendraient à tuer leurs lecteurs, d’autres les sauveraient.
Les villes décrites ne sont pas moins originales : un quartier malfamé
dans une cité russe qui étendrait indéfiniment ses tentacules, une bourgade sud-américaine
éternellement en ruines (mais qui ne s’effondrerait jamais entièrement), un
village français assoupi (au sens propre), où le temps s’écoule plus lentement
qu’ailleurs, la maquette d’une ville égyptienne qui renfermerait, dans une
drôle de mise en abyme, des maquettes de plus en plus petites… On retrouve
également ici la trace de Borges, -on peut naturellement penser à la Carte de l’empire
« qui avait le Format de l´Empire et qui coïncidait avec lui, point par
point »-. L’un des personnages de « Fictions » est même évoqué
explicitement dans l’un de ces lieux, une ville où tout événement s’inscrit à
jamais dans la mémoire des visiteurs.
La
mémoire et l’oubli sont par ailleurs des motifs souvent utilisés dans les
nouvelles d’Une collection très
particulière. Que ce soit la manière dont le lecteur parvient à retenir, ou
pas, les mots et les vers ; ou la perte de la mémoire chez un auteur
amateur atteint d’un trouble l’empêchant de se souvenir de ce qu’il a écrit la
veille –et condamné de ce fait à réécrire chaque jour le même début de roman. La
mémoire des mots constitue toute la matière des univers littéraires. Une
matière fragile et capricieuse, -après tout, il est si facile d’oublier-, qui
sert pourtant à élaborer des constructions étonnantes, défiant la raison et les
idées reçues.
Une
collection très particulière, Bernard Quiriny. Éditions du seuil 2012
Peut-on dire que l'absurde est la combinaison des tous les possibles ? Si la réponse est oui, il faut alors admettre que nous serons obligés d'y faire face un jour, lorsque des possibles auront été réunis selon les lois de la probabilité. Mais, je préfère perdre la mémoire que de nous savoir déjà dans cette situation. Et vous ?
RépondreSupprimerLa combinaison ou plutôt la juxtaposition des possibles? J'ai rencontré mon mari dans une gare; par la suite, on a appris qu'on avait fréquenté les mêmes villes à la même époque, sans jamais se croiser. Facile d'imaginer une réalité où l'on se serait connus auparavant, où, au contraire, une autre où j'aurais pris un autre train une demi-heure plus tard. Plus intéressant: imaginer la coexistence de tous ces mondes, en même temps. C'est la chronologie qui limite l'impression d'absurdité d'une telle perspective. Le temps comme étagère de rangement.
RépondreSupprimerEt l'arbre de décision comme remède contre l'absurde ?
RépondreSupprimerJe n'ai jamais pensé à faire des ramifications pour les décisions personnelles, -ce qui n'est pas sans me rappeler "The best laid schemes of Mice and Men..."- mais cela peut être utile dans d'autres domaines, surtout quand on a peu de temps pour faire tel ou tel choix.
RépondreSupprimerInma, votre rencontre avec votre mari ferait un joli sujet de roman!
RépondreSupprimerCertes, et j'ai d'autres épisodes encore plus romanesques dans quelques cachettes au fond de mon jardin secret, mais je suis persuadée qu'ils provoqueraient des désastres en cascades et autres accès de mauvaise humeur si j'osais les dévoiler sous forme littéraire.
RépondreSupprimerSinon, j'ai deux projets d'expo en cours. :-) Plus d'informations lorsque j'aurai les images.