Nous sommes tous des personnages de fiction

Si vous cherchez un livre pour l'été, et si vous acceptez le risque d'être surpris, osez Niebla (Brouillard), de Miguel de Unamuno. Le héros de ce roman publié en 1914, Augusto Pérez, jeune homme falot, tombe amoureux de la belle Eugenia, qui le trompe sans états d'âme. Le chagrin d'amour conduit Augusto à vouloir se tuer, mais, avant de mourir, il décide de rendre visite à l'auteur d'un essai sur le suicide, qui n'est autre que le professeur Unamuno, à Salamanca.
La rencontre du personnage avec son créateur dans un jeu de miroirs narratif où l'on discute des notions de destinée et de libre arbitre, apparaît déjà dans Don Quichotte et influence toute la littérature hispanique ultérieure, du théâtre de Calderon aux nouvelles de Borges. Le doute jeté sur la vraisemblance du récit ou sur le narrateur, qui est à la fois dedans et en dehors de l'histoire, offre de nombreuses possibilités d'interprétation. Ce jeu exige la participation du lecteur qui peut s'égarer dans cette mise en abyme où les rêves sont enchâssés les uns dans les autres à la manière d'une poupée russe. Dans Brouillard, le personnage apprend qu'il n'est qu'un rêve du romancier, mais le romancier étant lui-même un personnage fictif, qui rêve de qui, dans ce cas? Et qui a le pouvoir de faire mourir l'autre? Le romancier qui se prend pour Dieu se prend-il au piège de l'imagination? Car le narrateur nous rappelle qu'un romancier ne peut pas faire ce qu'il veut de ses personnages, le récit possédant une logique interne. Les références littéraires que l'on peut retrouver dans Brouillard concernent Don Quichotte, mais aussi La Celestina et surtout La Vie est un songe, dont le souvenir apparaît dans le débat entre Augusto et Unamuno à propos de la liberté lors qu'on est "le rêve d'un autre". La vie humaine ne serait qu'une histoire imaginaire, proposition prise à la lettre dans Brouillard, où des lecteurs continueront de faire vivre le rêve du romancier longtemps après sa mort en rêvant à leur tour. Pour Unamuno, philosophe agnostique qui ne concevait pas la religion en tant que doctrine mais en tant que recherche individuelle, constamment attaquée par le doute, la vraie vie consiste a acquérir la conscience de soi, c'est-à-dire, à sortir du brouillard des sentiments, du temps, de la vie quotidienne et de tout ce qui semble important. La conscience de soi n'apaise en rien l'angoisse devant la mort ; elle ne donne davantage la clé d'une croyance religieuse naïve et rassurante, mais elle s'impose comme l'unique hommage possible à la figure pascalienne du Deus Absconditus, le Dieu caché.

12-07-07

Commentaires

  1. Selon Shakespeare, la vie c'est ça:

    Seyton
    The queen, my lord, is dead.

    Macbeth
    She should have died hereafter;
    There would have been a time for such a word.
    To-morrow, and to-morrow, and to-morrow,
    Creeps in this petty pace from day to day
    To the last syllable of recorded time,
    And all our yesterdays have lighted fools
    The way to dusty death. Out, out, brief candle!
    Life's but a walking shadow, a poor player
    That struts and frets his hour upon the stage
    And then is heard no more: it is a tale
    Told by an idiot, full of sound and fury,
    Signifying nothing.

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  2. Pour revenir sur la question de l'écart entre la doctrine, la mystique et la connaissance,
    saint Bernard de Clairvaux était ennemi de la curiosité intellectuelle, des hérésiarques et des scolastique dans le style d'Abélard: "Il y en a quelques-uns qui ne veulent apprendre que pour savoir, et cette curiosité est indigne d'un homme; d'autres ne veulent apprendre que pour être regardés comme habiles, et cette vanité est honteuse; d'autres n'apprennent que pour trafiquer de leur science, acquérir l'argent et les honneurs, et ce trafic est déshonorant."

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