Voies picturales

Il peut être captivant de comparer les chemins artistiques et l’évolution de deux artistes ayant vécu à la même époque, d’explorer les parallélismes, les rencontres et les divergences entre deux figures telles que Pablo Picasso et Paul Klee. Cela signifie aller au-delà des légendes et des images publicitaires, ou saisir quelque chose du contexte et de l’atmosphère liés à l’éclosion de l’art moderne. Le Zentrum Paul Klee à Berne offre précisément, et jusqu’au 26 septembre prochain, la possibilité de voir, dans une même salle, 180 œuvres de Paul et de Pablo, depuis leurs débuts où ils ont travaillé, aussi bien l’un que l’autre, le dessin avec un trait précis, net, jusqu’aux tableaux de leurs dernières années, où les singularités et les références de deux langages picturaux propres se sont entièrement exprimées, en passant par les audaces cubistes et l’exploration des formes abstraites.

L’extraordinaire diversité de l’œuvre de Paul Klee traduit l’évolution de l’histoire de l’art dans la première moitié du XXe siècle. Empreint d’ironie et de mystère, le monde de Klee est, de prime abord, moins accessible que celui de Picasso. Ce dernier montre, tout au long de sa vie, une préférence pour les mises en scène élaborées, et sa mythologie personnelle se nourrit de personnages violents et hauts en couleur comme le minotaure, ainsi que d’ambiances théâtrales, liées au cirque ou à la tauromachie, riches en références à l’histoire et à peinture espagnole. Le personnage, humain ou mythique, prend une place considérable par son attitude et ses gestes. Un tableau de Picasso est toujours un récit, passionné ou tragique. Chez Paul Klee, en revanche, les aspects oniriques et parfois une amertume grinçante prennent le dessus. C’est un paysage de signes, flèches, lettres, lignes en guise d’arbres ou de rivières, un mélange de techniques créant des effets et des nuances inattendus. Ce sont des personnages aux traits et au message qui sont autant d’énigmes, trouvant leur place dans une construction organique, naturelle et poétique à la fois, à côté d’objets et d’indices. L’ensemble est évocateur et polysémique, car il doit trouver plus d’un écho en dehors de l’imaginaire : L’art est à l’image de la Création. Cest un symbole. Tout comme le monde terrestre est un symbole du cosmos (Klee, Théorie de l’art moderne). Et je connais un remède merveilleux à la tristesse : en contemplant indéfiniment Ad Parnassum, je ne regarde jamais le même tableau deux fois.

L’exposition permet d’apprécier les divergences dans les voies esthétiques suivies par deux artistes qui, cependant, se vouaient une admiration réciproque. Le parallélisme est ici davantage celui de l’époque que celui des œuvres, mais il y a aussi des rencontres, des hommages et des ripostes, comme l’Ursch en face du minotaure, comme le peintre mis en scène chez Picasso, par le biais de différents personnages, opposé, chez Paul Klee, à l’observateur ironique et rêveur.

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Commentaires

  1. On peut comprendre qu'il s'agit de deux mondes, de deux cultures, pas forcément opposés, mais qu'on peut traduire facilement quand on habite entre deux. Il serait intéressant de montrer une oeuvre représentative de chaque genre à un Martien (voire même un Chinois), pour apprendre comment il l'interprète.

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  2. Je reviens chez vous après avoir apprécié votre chronique sur Hopper (que j'ai mise en lien sur mon blog). La confrontation Picasso-Klee ne manque pas d'intérêt, comme vous le montrez.
    "C’est un paysage de signes, flèches, lettres, lignes en guise d’arbres ou de rivières, un mélange de techniques créant des effets et des nuances inattendus", écrivez-vous à propos de Klee. Il me passionne justement par là, par cette poésie des formes et des couleurs plutôt que du récit.

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  3. @Tania
    Bienvenue et merci pour votre commentaire. je viens de découvrir votre blog et je crois que j'aurai pour des heures d'enchantement littéraire et pictural.

    @P.A.R.
    Les ponts métaphoriques vous intéressent. Il me semble qu'on avait déjà évoqué cela dans le blog de PRJ. Cela fait partie des deux mouvements basiques, l'extension et le repli. C'est quelque chose qu'on comprend très bien dans un film que j'aime beaucoup, "Floating Life" (1997)de Clara Law, où il est question d'une famille chinoise qui émigre en Australie, mais petit à petit, et l'on s'aperçoit au bout d'un certain temps que les différents membres sont incapables de communiquer entre eux, car certains ont calqué leur mode de vie sur celui des Européens et Australiens (les plus jeunes sont dans l'"extension") tandis que les plus âgés ont tendance à se replier. Dans cette situation, la construction de ponts n'est pas évidente. Pour en venir à notre sujet, la peinture contient ces deux mouvements qui la rendent interprétable ou énigmatique, lorsqu'il y a absence de référent, comme dans le cas des oeuvres purement abstraites. Les tableaux de Klee restent offrent les deux possibilités,car il y a toujours un référent, même fragmentaire, mais on pourra toujours dire que l'interprétation n'appartient qu'au spectateur et que chacun voit une image distincte avec un sens distinct.

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  4. A mon sens, Klee a une logique de graphiste, comme Mondriaan (est-ce un art décoratif?). Alors que Picasso fait dans le conceptuel: un media froid qui demande à être interprété.

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  5. Pourquoi deux "a", je ne sais pas: réflexe hollandais pour les voyelles. Ceci corrigé, vos peintures sont harmonieuses, élégantes et fertiles sur le plan de la création. Trait, couleurs et volumes sont en symbiose. De l'acrylique?

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  6. Des crayons, des centaines de crayons, de l'encre, des pastels solubles, de l'aquarellle... Tout ce qui me tombe sur la main et qui peut être dissout dans de l'eau :-)

    Je voudrais réagir, par rapport à l'art décoratif, en rappelant que Paul Klee avait enseigné au Bauhaus, où les différents ateliers (métal, bois, poterie, tissage) produisaient des objets à la fois décoratifs et pratiques (qui ont inspiré le mobilier de bureau moderne).

    Mondrian s'écrivait effectivement avec deux 'a', à l'origine, mais l'Histoire n'a retenu qu'un seul.

    http://www.mondriaanhuis.nl/artikel/welkom

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  7. Nous sommes en quelque sorte collègues: je mélange crayons, encres et aquarelle. Encre de Chine (bien sûr), mais aussi Sépia et Terre de Sienne brûlée à la manière du XVIIIe. A part ça le pastel sec, qui, quand ça marche, donne des résultats magnifiques. Je mixte aussi encre de Chine et aquarelle, pour plus de profondeur ou d'exotisme. J'ajoute même de la gouache (dorée, ou argentée pour les reflets aquatiques).
    Dans le passé: la peinture à l'huile si difficile et qui colle les doigts (mais l'odeur de la térébenthine est magique), la Tempera, comme les anciens. Et puis, et puis...

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  8. J'envie votre capacité à mélanger les couleurs et le noir, moi qui suis incapable de dessiner autre chose que des taches de sauce sur mes chemises. Inma, j'ai trouvé très beau les collages que vous montrez. Rabbit, montrez-nous vos réalisations sur votre blog! Amitiés à vous deux qui me paraissez comme le pouce et l'index de je ne sais quelle main créatrice.
    PJR

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  9. La main invisible d'Adam Smith, père de l'école libérale? Ou encore la main de Fatma pour voyageur sans frontières? Ou la main de Bouddha pour jardinier exotique et excentrique? Excellent sujet, PJR, nous l'empoignons d'une main à deux têtes...

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  10. @PJR, si vous ne savez pas dessiner, vous pouvez avoir en revanche, le sens de la couleur ou des textures. Un aspect intéressant, qui n'était pas, à ma connaissance, abordé à l'expo du Zentrum Klee est l'intérêt que les deux artistes portaient aux dessins d'enfants. C'est ce qu'on appelera plus tard l'art brut. De l'art du XXe siècle, j'aime bien retenir cette recherche de l'épure, de la qualité première d'une oeuvre et du "pattern" commun à toutes les oeuvres,(comme l'éternel féminin appliqué à la peinture) avant de voir la représentation, ou la motivation.

    J'ai aussi envie de voir les oeuvres de PAR, dont j'apprécie déjà les photographies noir et blanc dans son blog.

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  11. Je retiens, moi, la notion de "rage de l'expression" empruntée à Francis Ponge et qui est valable pour toutes sortes de moyens artistiques. PJR y verra un contexte analytique, parce qu'il y en a un.
    OK, vous aurez de dessins, car je ne sais plus chez qui se trouvent les toiles. Vous les voulez aussi en noir et blanc ?

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  12. Bonjour Inma Abbet,
    J'adooore l'Italie, un pays musée à tout instant et en tout lieu!
    Je me rends régulièrement en Italie et j'ai visité beaucoup de villes et c'est toujours difficile de faire le choix! Je n'étais pas loin à Ferrare la dernière fois...
    Merci pour ce somptueux billet qui me met l'eau à la bouche.
    Très belle soirée et très belles fêtes

    Pas moyen de laisser un commentaire sur l'autre blog...

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  13. Bonjour Kenza, et merci pour vos commentaires. Je suis (involontairement) éloignée du blog depuis quelques semaines, mais je vais essayer de faire quelque chose. Merci de souligner le problème des commentaires sur l'autre blog et joyeuses fêtes à vous aussi.

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