De l'étoffe des rêves

Êtes-vous en train de rêver que vous interprétez les rêves ?

Ces propos de Sun Kaisi développent en écho, sur le mode de l’entretien infini, les pensées et les désirs de Zhang Chao. Des paradoxes venant taquiner, interroger ou déchiffrer la substance du rêve se déploient dans l’un des plus célèbres recueils de « propos détachés » de la fin du XVIIe siècle chinois, où l’auteur ajoute les opinions de ses amis et autres lettrés à la suite de son propre discours, dans une discussion à plusieurs voix poétiques, tantôt légère, tantôt grave. On rend ainsi à chacun ce qui lui appartient et leur conversation demeure plaisante et singulière à travers le temps (précisément parce que le songe se situe hors du temps), pour ceux qui aiment retrouver la trace du papillon de Zhuangzi, des métaphores du règne végétal appliquées aux affaires quotidiennes, à l’amour et l’amitié, ainsi que la présence obstinée de la lune dans un paysage intellectuel fait d’encre délavée et de scepticisme mêlé de sensualité.

Le rêve se fond dans la vie, il imprègne la nature, les nuages, la lumière et les arbres, et l’auteur en tient compte dans son discours esthétique appliqué à l’espace :

Il y a des paysages réels, des paysages peints, des paysages rêvés, des paysages imaginés. La beauté des paysages réels tient à l’intensité de leurs reliefs, celle des paysages peints aux nuances de l’encre, celle des paysages rêvés à leur imprévisible mystère, celle des paysages imaginés à leur conformité à nos désirs. (p. 63)

Mais lorsque tout devient rêve, tout devient également image. Ainsi «Pour un vrai lecteur tout est livre : les paysages, le jeu d’échecs, le vin, les fleurs et la lune. » (p. 98). Le charme des propos de Zhang Chao tient ainsi pour moi à la correspondance entre les différentes images, à l’osmose entre les différents mondes, le littéraire, l’imaginaire, celui façonné dans les rêves, sans oublier le réel doté et enrichi par tous les autres.


Zhang Chao, L’Ombre d’un rêve. Traduit du chinois et présenté par Martine Vallette-Héméry. Picquier poche




Ajout du 08 janvier : Loutre méditative


La qualité de l'image n'est pas très bonne, mais les conditions météo ne l'étaient pas davantage. J'aime beaucoup le geste d'appuyer sa patte semblable à une main sur sa joue, comme si elle se demandait ce qu'elle   allait faire. Elle a fait une boule de neige et a joué avec.

Ajout du 09 janvier... La suite:

Elles aiment les boules de neige

Et les glaces à l'eau...



Commentaires

  1. C'est bien de parler tout à la fois de la Réalité et de Zhuangzi. Comme c'est chez moi une monomanie, je sors de la poussière une petite sonate pour clavecin taoïste:

    "Quelle est la part du rêve ou celle de la réalité dans nos journées ? Si l’on a pu déterminer quelle était la durée totale du temps consacré au sommeil au cours d’une vie, il conviendrait d’y ajouter le temps passé en rêveries de toutes sortes et l’on réaliserait que le contact avec la réalité brute reste la portion congrue de l’existence.
    Tout comme vous ne serez pas surpris d’apprendre que les couleurs sont une production du cerveau décodant les informations reçues de l’œil: donc, les couleurs n’existent pas. Par contre, on peut partager ce mensonge, puisqu’il est cru par la plupart des personnes avec lesquelles on pourrait en parler.
    Quelle est la somme des mensonges pouvant être ainsi partagés sans contestation? Toute information est sujette à interprétation vraie ou fausse, les langages sont inaptes à reproduire l’ensemble des phénomènes que nous percevons et la notion même de réalité n’a de validité que pour l’unique regard personnel porté sur le monde..."

    Suivie d'une parabole de l'Homme au Papillon:
    "Lorsque nous argumentons,
    si tu gagnes et si je ne gagne pas, as-tu raison et ai-je tort?
    Si je gagne et si tu ne gagnes pas, ai-je raison et as-tu tort?
    Avons-nous raison? Avons-nous tort?
    Puisque nous ne pouvons savoir qui de nous a raison,
    un tiers sera sans doute plongé dans les ténèbres.
    Qui donnerait un avis juste?
    Une personne de ton avis ne peut, de ce fait donner un avis juste.
    Une personne de mon avis ne peut, de ce fait donner un avis juste.
    Une personne d'un troisième avis ne peut, de ce fait, donner un avis juste.
    C'est ainsi que ni toi, ni moi, ni un tiers ne peut savoir qui de nous a raison.
    Allons-nous faire appel à quelqu'un d'autre?"

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  2. Je vous attendais, car vos réflexions me manquaient. Merci pour celles-ci!
    Dans les affaires de perception, on ne saurait se passer de l'apport des sciences cognitives. Le résumé de wiki en anglais m'a l'air très intéressant, surtout parce qu'il propose une liste de ressources externes. J'ai même trouvé des revues en français, mais il faudra que j'aille tout lire... C'est la meilleure chose à faire dans mon cocon ouaté.

    http://en.wikipedia.org/wiki/Cognitive_science

    "Avons-nous raison? Avons-nous tort?"
    La question est infinie, elle met en évidence le fait que nous possédons la moitié du monde, et que l'autre moitié nous est malheureusement inaccessible. C'est ainsi que les mensonges sensoriels ont une fonction éminemment consolatrice.

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  3. Oui.
    Il faudra aussi évoquer un jour les mensonges consensuels, ceux qui peuvent gravement endommager la santé: société, politique, religion.
    Vaste sujet, non ?

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  4. Ou encore mieux, et moins étudié, à l'absence forcée de mensonges consensuels, qui endommagent également la santé (toutes les expériences dans ce domaine ont été faites au XXe siècle, avec les résultats qu'on connaît).

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  5. Là c'est mon côté hostile à toutes les "tabulae rasae" qui s'exprime. Une approche intéressante pourrait être, par exemple, d'accepter une certaine tendance, que nous avons tous, à ce que j'appellerais "la division et le mélange". D'un côté le désir de netteté, de structures claires, de frontières définies, et d'autre côté un élan vers le paradoxal, la duplicité et les expériences transfrontalières. Lorsqu'il s'agit de perception et de compréhension je m'efforce de rabibocher ces deux côtés-là.

    Vous avez sûrement lu "L'Art de la guerre" de Sun Tzu. J'y suis maintenant, et je regrette d'avoir raté ça pendant des années.

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  6. Mon premier est tout l'idéal de l'époque féodale: mettre des frontières à ses états, y structurer la société d'une hiérarchie forte, et tenter l'aventure des Croisades ou faire la guerre aux voisins pour des questions de succession.

    Mon second, je l'ai lu, avec "Le Livre des 5 Anneaux" de Musashi Miyamoto, "De la Guerre" de Carl von Clausewitz et "La technique du Coup d'Etat" de Curzio Malaparte.

    Mon tout: et si je devenais empereur de Chine ?

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  7. Faut-il vraiment opposer le rêve et la réalité? J'aime assez la pensée du psychanalyste anglais Bion, qui pense que l'activité onirique se poursuit nuit et jour en profondeur. Nous ne percevons en général que pendant le sommeil cette action psychique de digestion et d'organisation de nos expériences sensorielles et émotionnelles, car notre activité de conscience estompe l'activité onirique pendant l'éveil. Mais nous connaissons tous l'expérience de fragments oniriques qui pointent le bout de leur nez au milieu de la journée, non? Dans cette conception, le rêve ne s'oppose pas à la réalité, il fait partie de son appréhension (?) par notre appareil psychique.
    Sur ce, mes meilleurs vœux en toute réalité à vous deux.
    PJR

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  8. Voici un texte que j'ai écrit il y a deux ans et demi, à une époque de grande détresse personnelle, certes, mais j'aime toujours le relire:

    "Une étude canadienne (1) met l’accent sur le rôle de la rêverie dans la réflexion. Le mind wandering, activité préférée des daydreamers et autres bayeurs aux corneilles stimulerait certaines régions du cerveau et faciliterait ainsi la résolution de problèmes complexes, car « Quand on rêve éveillé, on peut ne pas atteindre son objectif immédiat (par exemple la lecture d'un livre ou suivre les cours en classe) mais l'esprit prend le temps de régler des questions plus importantes, comme la promotion de sa carrière ou ses relations personnelles ». (2) Puisque nous passons en moyenne un tiers de notre vie à rêvasser, cela ressemble à une bonne nouvelle.

    Pourtant, la rêverie, aussi bien dans le langage courant que dans la littérature de fiction, est davantage associée à une oisiveté malsaine et à un irrémédiable décalage avec la réalité. Le verbe rêvasser, attesté depuis la fin du XIVe siècle, et affublé du suffixe péjoratif –asser (on rêvasse comme on traînasse), avait en ancien français le même sens que rêver, c’est-à-dire divaguer, ou délirer et, selon son étymologie, le sens primitif de rêver était « vagabonder » ou « rôder ». (3) Quant à rêverie, expression déjà utilisée au XIIIe siècle, elle désigne tout aussi bien le délire que la folie, voire l’ivrognerie pendant tout le Moyen Age. Il faut attendre les Essais de Montaigne pour que la rêverie prenne le sens de « activité de l’esprit qui médite, qui réfléchit ». (4) Aussi, parmi les sens attribués à ce mot par Littré il y a ceux de « délire causé par une maladie ou par la fièvre», d’« état d’esprit occupé d’idées vagues » ou, à une époque plus tardive, de « produit de l’action de rêver, de méditer ». Les différents usages de « rêver » et « rêverie » à l’époque médiévale et classique révèlent une éternelle méfiance envers les dangers de l’imagination (...)


    http://inma-abbet.blogspot.com/2010/06/eloge-de-la-reverie.html

    *J'ai dû couper le texte, car j'apprends qu'il y a une limite de 4096 caractères pour les commentaires!

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  9. Sachant que la véritable méditation consiste à faire cesser, pour une durée plus ou moins longue extrêmement difficile à tenir, toute production de pensée spontanée et parasite.
    Le résultat a un effet apaisant et tranquillisant surprenant sur le corps. Et sur l'esprit par retour d'information.

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  10. @L'Acratopège, j'ai voulu chercher une citation pour en savoir plus après votre commentaire, et j'ai même trouvé un blog dédié à Bion et Winnicott

    http://winnicottbion-leblog.typepad.fr/blog/

    Décidément, il y a des blogs pour tout. Bref, j'ai parfois suggéré que la psychanalyse n'était pas ma tasse de thé, mais, en réalité, il ne s'agit d'un rejet des jeux de mots très poussé.
    Dans ce site, j'ai trouvé une citation assez amusante qui m'a rappelé ce dont on discutait ici même le jour de l'an (ce qu'on observe devient intéressant).

    "Pendant ma formation, j'ai eu un patient si ennuyeux qu'il m'était difficile de rester éveillé. Puis je me suis mis à penser qu'il était ennuyeux à un point tel que j'ai été curieux de savoir comment il s'y prenait..."

    Wilfred R. Bion, Séminaires cliniques

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  11. Si la production de pensée est spontanée, c'est-à-dire non voulue, comment donc la faire cesser volontairement?

    Je crois que c'était Julio Cortázar qui avait écrit qu'il est impossible de se concentrer pendant une période plus ou moins longue et que, cinq minutes passées à regarder une tulipe, c'étaient cinq minutes de distraction, où l'on pense à autre chose :-)

    Je croyais que certains pensées qui se déploient juste avant le sommeil ont une fonction apaisante, parce que répétitives ou inoffensives (ou les deux). Mais il s'agit là aussi de quelque chose de spontané. Au contraire, si l'on pouvait s'empêcher de penser à quelque chose, on le saurait, et ce serait un grand bienfait.

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  12. Avec discipline & expérience. Maîtrise des muscles et des nerfs. Eloignement du corps.
    Au zazen de Deshimaru, le disciple demande maître le coup de bâton sur les épaules dès qu'il se sent fléchir: menace d'un flux de pensées envahissantes ou douleurs dues à la posture. Ensuite, il se retrouve "à l'extérieur", et ça dure une heure.

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  13. pour le coup sur les épaules, ça ira, j'ai glissé hier sur une plaque de glace :-) Ah, la vie à la montagne! ;-)))

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  14. Elle est trop craquante cette loutre pensive!

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  15. Magnifiques n'est-ce pas? Cette petite famille de loutres (elles son quatre loutres cendrées) est visible au Bois du Petit Château, à la Chaux-de-Fonds.

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  16. En voilà deux nouvelles - tout aussi adorables - qui aiment les sorbets à la neige:) Elles n'ont pas l'air sauvages et se laissent photographier...
    C'est tout de même plus réjouissant de les voir dans cette nature que dans un zoo.

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  17. L'histoire est assez triste, elles sont effectivement dans un zoo, mais cela s'est passé de façon assez irrégulière. Il y avait d'abord un premier couple, importé illégalement, une des loutres s'est échappée et a été retrouvée, bref, elles ont fini là-bas et ont l'air de s'y plaire, car elles ont fait des petits :-). Ces animaux ne pourront jamais être relâchés dans une nature qu'ils ne connaissent d'ailleurs pas. Elles se conduisent presque comme des chiens ou des chats et n'hésitent pas à appeler les visiteurs en poussant de petits cris aigus. Voici l'histoire de ces loutres cendrées:

    http://www.mhnc.ch/default.asp/4-0-5302-8016-113-207-1/

    La récolte de fonds pour leur construire un vrai espace de vie continue.

    En Ecosse, l'IOSF s'occupe également de retaper des loutres mal en point, mais celles-là sont des animaux sauvages, donc elles sont relâchées dès qu'elles vont bien:

    http://www.ottershop.co.uk/acatalog/Meet_the_Otters.html

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  18. Je me souviens d'un film très ancien, racontant l'amitié d'un jeune garçon et d'une loutre sauvage. Cela devait se passer en Allemagne ou en Suède.

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  19. Cela me dit quelque chose, mais je n'ai pas trouvé le titre.

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  20. Je viens de lire la triste histoire en effet des loutres "réfugiées" en Suisse qui n'ont pas de "papier d'exportation" (sic).

    Les particuliers qui prennent des animaux sauvages devraient être condamnés! Ce sont des irresponsables. Encore heureux que la femelle ait retrouvé son mâle. Espérons que le couple ne sera pas euthanasié mais surtout qu'il puisse être gardé dans les meilleures conditions. Les zoos ne sont pas la panacée...

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  21. Il faut créer une O.N.G. pour le droit des loutres à disposer d'elle-mêmes.

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  22. Pas nécessaire, suffit de les laisser en paix dans leur environnement. En Chine, on protège les pandas :-), qui sont aussi très mignons.

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  23. Et maintenant, ce blog va de nouveau se transformer, avec les idées développées pendant les fêtes...

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