Terrains vagues



À propos de : Orages ordinaires, de William Boyd

Au départ, une scène de crime, une victime qui en savait probablement trop et un parfait suspect bien entendu innocent qui prend la fuite parce qu’il se trouvait au mauvais endroit et au mauvais moment. À l’arrivée, un mode d’emploi des villes tentaculaires, où la question de la place de chacun, de ce que chacun fait pour conquérir ou pour garder son espace vital est abordée avec beaucoup d’ironie et de finesse. Dans ce roman de William Boyd, tout commence avec un personnage faussement candide, un climatologue anglais ayant fait carrière aux États-Unis, qui revient à Londres pour un entretien d’embauche. Adam Kindred possède tout, mais une rencontre apparemment anodine va lui faire tout perdre, lorsqu’il devient accidentellement témoin du meurtre de l’homme dont il venait de faire connaissance. S’ensuit une fuite qui l’emmènera dans les marges de la société -mais on apprendra plus tard que ce n’est pas la première fois qu’Adam Kindred choisit de disparaître devant un problème apparemment insoluble- où il devra côtoyer une faune urbaine aussi discrète que dangereuse dès lors qu’on s’attaque à son territoire, sans oublier le tueur à gages qui suit ses traces. Installé sur les rives de la Tamise, Kindred fait l’expérience de la perte de l’identité, de la pauvreté et de la faim, avant de tenter de résoudre par lui-même l’énigme du meurtre dont on l’accuse. Et il pense trouver la solution dans l’entreprise pharmaceutique où travaillait l’homme assassiné, entreprise qui est sur le point de lancer un nouveau médicament.

Je ne peux m’empêcher de penser à Balzac en lisant les aventures de ce monsieur tout le monde transformé en Rastignac des souterrains après avoir dû chasser et manger une mouette pour survivre. Bien qu’il n’agisse que depuis les bas-fonds de Londres, où il a trouvé refuge, Kindred réussit à déclencher des processus aux conséquences inattendues pour son adversaire, l’entreprise pharmaceutique, en jouant sur l’effet papillon. Et on retrouve là le thème très balzacien de la fragilité des positions sociales, des fortunes qui peuvent s’écrouler du jour au lendemain, et aussi de la perméabilité entre le haut et le bas de la société, qui a lieu à l’aide de l’anonymat inhérent aux habitants de la grande ville, à l’aide d’identités réinventées selon le besoin d’adaptation à un milieu hostile. Or, cette adaptation est au cœur du récit : Londres est ainsi ponctuée de zones grises, peuplée de gens qui semblent avoir fait un voyage dans le temps, car ils parviennent à vivre en dehors de tout recensement, de toute surveillance en évitant d’utiliser des cartes de crédit, des téléphones portables ou des cartes d’identité. Et c’est seulement en tant qu’invisibles qu’ils trouvent leur place dans la ville.    

William Boyd, Orages ordinaires, traduit de l'anglais par Christiane Besse, Seuil 2010

Commentaires

  1. Je vais essayer de faire passer mon commentaire cette fois-ci :
    William Boyd est un des auteurs qui a le mieux transcrit les joies de l'expatriation, dans "Un Anglais sous les Tropiques", milieu qu'il connaît bien vu son passé au Ghana. Ce livre a donc eu beaucoup de succès chez tous les Européens catapultés après les indépendances dans un continent pour le moins bizarre. "Brazzaville-plage" aborde le mandarinat universitaire et ses relations avec les théories scientifiques. Inutile de dire que cela m'a beaucoup plu...
    Enfin, "Comme neige au soleil" aborde la question de la 1ère Guerre mondiale au Tanganyka entre colons anglais et allemands. Si vous avez aimé l'ambiance de "Out of Africa" (j'en ai les larmes aux yeux rien que de l'écrire...), vous aimerez aussi ce livre. Je me réjouis donc de lire "Orages ordinaires".
    PS pour PAR. L'auberge de Frience a brûlé cette nuit. C'était autrefois un chalet d'alpage où ma mère m'envoyait tout petit gosse acheter des tommes de chèvre. Puis cela a été transformé en auberge, tenue par le compère de Rodolphe Giacomini, le guide Claude Gollut qui tenait l'auberge de Solalex avant. On y côtoyait régulièrement les people d'il y a 30 ans qui venaient à Villars...

    RépondreSupprimer
  2. C'est un roman qui m'a passionnée tant du point de vue de l'intrigue, ou plutôt des multiples intrigues, que de celui de l'observation minutieuse de la société.
    Un narrateur toujours fort talentueux Mr Boyd.
    À la sortie du livre on l'a comparé à Dickens, oui c'est vrai; et ton rapprochement avec Balzac est judicieux.
    Moi, j'ai pensé à plusieurs reprises à C. José Cela décrivant la société madrilène, les vies parallèles et cachées durant la guerre civile. Dans "La colmena" ou "San Camilo 1936". Pour beaucoup il valait mieux être/rester invisibles...

    Bon week-end Inma.

    PS: Je n'ai pas lu "Comme neige au soleil", vous m'avez fort tentée, merci Géo.

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour, et merci pour vos messages. En dehors des précités, j'ai lu, du même auteur "L'après-midi bleu", un récit qui se passe aux Etats-Unis et aux Philippines et qu'ose vous conseiller également.

    RépondreSupprimer
  4. Tout d'abord, il ne faut pas confondre Fruence et Frience: les deux existent et l'étymologiste du dimanche jette un oeil curieux sur le site "Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs" pour approcher cérébralement l'endroit dont on cause dans le poste, celui-là donc vous dira que l'origine du toponyme reste énigmatique ("noms d´origine préromane dérivés avec le suffixe -entia d´une base indéterminée"), ce qui ne l'empêche pas (l'étymologiste) de se souvenir parfaitement de cette bâtisse située sur un épaulement de terrain, en bas à droite du cadre de la fenêtre de la cabine grimpant en direction des Chaux, tout en secouant vachement à chaque pylône, alors qu'aucun chalet superfétatoire ne polluait alors ce coin-là sous le nom générique d'"Alpe des Chaux".
    Je crains que le message ne soit un tantinet obscur, mais l'important ne reste-t-il pas avant tout du côté du medium ?

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés