Avec une dernière dose d’enthousiasme

A propos de Avec une dernière dose d’enthousiasme et de Pénélope andalouse, de Jésus Manuel Vargas

C’est étrange, tout ce à quoi peuvent penser ceux pour qui le temps est suspendu, ceux qui font les cents pas dans les salles d’attente de la mémoire : des bribes de récits effilochés se pressent, défilent et disparaissent avec la même fluidité. La mémoire est une succession de mirages, comme ces impressions du passé, vaguement esquissées, qui s’enchaînent dans  Pénélope andalouse, où il est question d’un jeune français, écrivain, se rendant au chevet de sa grand-mère mourante, dans une petite ville en Andalousie, de l’évocation de deux petites villes espagnoles, de ses retrouvailles avec une famille presque inconnue, avec des expériences étrangères qui pourraient seulement être rendues dans une langue que l’on ne maîtrise plus.

 La forme du monologue convient à ces tableaux superposés d’un retour au pays de l’enfance, d’où émergent des questions sans réponse –ou plutôt l’inverse-, car la simplicité de ce monde des vacances est trompeuse. On devine un double fond, un sens caché par la présence rassurante des parents, qui échappe à l’interprétation tardive, et qui s’attarde dans des symboles à bricoler soi-même : un vieux cargo à quai, une lumière blanche, aussi aveuglante qu’apaisante, des sorties entre amis, une chambre d’hôpital anonyme, une terrasse qui donne sur la mer… Ce sont surtout des décors de solitude collective, qui se prêtent aux soliloques sur la pesanteur du corps, sur les petits maux qui influencent les perceptions, sur le vieillissement et la maladie. Des endroits qui exigent des conversations à mi-voix, ou des silences, propices aux regrets de tout ce qui disparaît.

Les curieux effets de l’attente, la solitude à plusieurs, le malaise devant une situation inattendue et légèrement effrayante sont aussi des éléments que l’on retrouve dans Avec une dernière dose d’enthousiasme. Dans ce roman, cependant, le narrateur fait ressortir d’autres voix, celles d’un groupe d’amis à la dérive, profitant d’une soirée barbecue dans un jardin pour évoquer leurs parcours insatisfaisants, leurs blessures et leurs rêves lentement étiolés. Chacun a apporté avec soi sa dose de malheur  à partager avec les autres, chacun croit que l’autre est bien entendu plus heureux, moins médiocre, mais tous semblent comme figés dans de la gelée, conservant toutes les apparences d’une vie pleine d’espoirs et de projets d’avenir, dissimulant la tristesse et les décisions absurdes prises autrefois. Jusqu’au moment où le narrateur se réveille devant une grille brûlée, avec la gueule de bois et des souvenirs plutôt évanescents de ce qui s’est passé pendant cette petite fête, où quelque chose, on ne sait pas trop quoi, a mal tourné. Ce sera alors l’occasion d’une reconstitution à la chronologie fragmentaire, mettant en scène les différents personnages, sans oublier un narrateur qui supporte mal et l’alcool et la chaleur, qui s’égare dans une multitude de détails, mais dont le manque de fiabilité constitue une forme de distanciation originale.
  


Jésus Manuel Vargas, Pénélope Andalouse (2008), Avec une dernière dose d’enthousiasme (2012), éd. Les Presses littéraires. 

Commentaires

  1. Bonjour Inma,
    Votre prose est toujours aussi belle quand vous parlez des livres qui vous ont intéressée. Etonnant que personne ne commente plus chez vous et ailleurs... Les blogs lasseraient-ils, deviendraient-ils ringards? Les "followers" préfèrent sans doute la fugacité des tweets...
    Votre expo à Montpellier a-t-elle était enrichissante... de rencontres?
    Je lisais ce matin un article sur la "déprime" des lapins domestiques. J'espère que les vôtres vont bien:)) A vrai dire, je n'en doute pas, leur environnement doit être si beau (les montagnes me manquent).

    RépondreSupprimer
  2. Chère Ambre,merci pour votre commentaire. Je compte me remettre bientôt au blog, mais je dois avouer que ces temps-ci j'ai eu d'autres sujets "créatifs" en vue, dont des prototypes de lingerie, et un nouveau site dédié à la peinture que je suis encore en train de composer. L'expo se termine la semaine prochaine. Il y a un petit cocktail pour la fin, dont je vous enverrai la date en mp. Quant aux lapines, elles vont bien, justement parce qu'elles ne sont pas en cage, mais ont de l'espace à disposition pour courir, sauter, s'amuser, de l'air libre et des coins à explorer. :-))

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés