Les Lunes de Mir Ali
À propos de Les Lunes de Mir Ali, de Fatima Bhutto
La ville de Mir Ali est unique. Au fil des
années, elle est devenue un vrai trou noir spatio-temporel. À la frontière de l’Afghanistan, Mir Ali vit dans une ambiance d'éternelle guerre civile. Dans le combat ancestral contre l’État pakistanais, une volonté d’indépendance
et de révolte est transmise de père en fils ou, également, de père en fille. Un
héritage maudit que seule la modernité, symbolisée par internet et les voyages
à l’étranger, semble lentement mettre en cause. Les attaques et répressions
successives -étudiants assassinés, disparitions- ont créé un désespoir permanent, alimenté le cycle de la violence
et de la vengeance, et plongé la ville dans la pauvreté et l’intégrisme
religieux.
Lorsque les suites de la guerre afghane s’ajoutent à ce conflit, la situation devient insoutenable pour les jeunes gens de la
ville, qui se retrouvent à choisir entre la loyauté envers leur clan et l’abandon
des luttes de leurs parents, afin de construire une vie à eux, une histoire qui
leur appartienne. Chacune des options pose différentes questions morales, et
les cinq personnages principaux vont faire l’expérience, pendant la journée où
leur avenir sera joué, des conséquences de ces choix.
Trois frères quittent la maison qu’ils
partagent avec leur mère, le matin du premier jour de l’Aïd. L’atmosphère est
pesante. L’aîné, Aman Erum, vient de rentrer des États-Unis, où il poursuit des
études. Il a tout fait pour quitter Mir Ali, y compris trahir ses anciens amis
et sa fiancée, afin de conserver son statut d’étudiant. Amal Erum rêve d’affaires
florissantes et de liberté, loin de la décrépitude, de la pression sociale et
de la quasi-obligation de suivre les chemins tracés par les ancêtres, même s’ils
s’avèrent absurdes ou dangereux. Mais on ne se débarrasse pas facilement de ses
origines : s’il obtient ce qu’il souhaite, ce sera au prix de l’éclatement
se sa famille.
Même s’il cultive la neutralité et ne se
mêle pas de politique, les choses ne sont pas plus simples pour Sikandar, le
frère cadet devenu médecin, dont la femme Mina a pris pour habitude d’assister
à des funérailles de gens qu’elle ne connaît pas, ce qui met tout le monde mal
à l’aise, mais lui procure un certain apaisement. Sa folie individuelle - et assez
inoffensive- est le seul moyen de s’évader de celle, collective, qui sévit à
Mir Ali, où les bombes ciblent des bus scolaires ou des hôpitaux. Il faudra pourtant
attendre une situation apparemment sans issue pour que l’étrange comportement de
Mina prenne un sens nouveau, et que Sikandar reconnaisse le courage qui se
cache sous son excentricité.
Le plus jeune frère, Hayat, est le plus
proche des traditions familiales, et donc de la rébellion contre l’État et l’armée.
En cette matinée, il rejoint Samarra, activiste comme lui et ancienne fiancée d’Amal
Erum, qui l’avait délaissée afin de poursuivre ses rêves américains. Malgré
leurs convictions, Hayat et Samarra ne sont pas à l’abri du doute quant à la
valeur et l’avenir de leur combat.
Les personnages des Lunes de Mir Ali représentent une réalité piégée qui empêche ou limite les décisions personnelles. Ce piège est mis en scène à travers le réalisme des descriptions, soulignées par des détails culinaires, vestimentaires, par des expressions locales en pachtoune, ainsi que de nombreux flashbacks, où il est question de l’importance des liens familiaux, des expériences de jeunesse qui déterminent le rôle de chacun, et, enfin, d’un passé trop présent.
Les Lunes de Mir Ali, de Fatima Bhutto, traduit de l’anglais (Pakistan) par Sophie Bastide-Foltz,
éd. Les Escales, 2014
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