l’Opale de Saint-Antoine
A propos de l’Opale de Saint-Antoine, de Gemma Salem
Vienne est
une ville unique ; elle a quelque chose d’une Venise tout aussi saturée d’histoire
et de références culturelles, mais dans une version plus lourde et insubmersible.
Vienne est un décor de théâtre, de roman, une maison de poupée aussi irréelle
que reconnaissable. Une histoire qui se passe à Vienne ne saurait faire
abstraction de la ville, de ses rues, de sa géographie littéraire et musicale
et de son côté désuet. Les splendeurs du passé forment un glacis compact; il y a toujours quelque part l’ombre de Mozart et celle
de Schubert. Aussi, le sérieux y côtoie l’absurde, la douceur de vivre masque
les échecs persistants. C’est la scène idéale pour les aventures d’Agnès Tartes,
maladroite apprentie voleuse d’un somptueux bijou échoué dans une église de
quartier : l’opale de Saint Antoine, dont tout le monde, sauf quelques
petits malins, semble ignorer la valeur, à commencer par le père Fenchel et ses
paroissiennes, qui prennent soin du lieu.
Agnès n’a
pas eu l’idée de s’emparer de la pierre précieuse toute seule. Ce qui la fait agir n’est pas la passion de l’art, ni même
celle de l’argent, bien que quelques dizaines de milliers de livres soient en
jeu, mais le désir de plaire à un certain Gigi, esthète amateur, baratineur
fantaisiste et excentrique professionnel, avec qui elle mène une relation
ambiguë. Pour Gigi, la quinquagénaire et –quelque peu- naïve Agnès ferait tout,
y compris se fondre dans la foule des dévotes et les aider à nettoyer l’église,
ou se rendre invisible en se prétendant professeur de mathématiques au lycée
français et guetter le moment propice pour commettre son larcin. Cependant,
Agnès s’enlise dans des plans changeants et des tentatives ratées, ce qui lui
donne l’occasion de passer en revue, à travers un monologue plein d’humour qui
la pose en narratrice peu fiable, ses soupçons à propos de Gigi, ses désillusions et ses doutes concernant le mystérieux commanditaire de
l’opale. Enfin, comme tous ceux qui attendent interminablement un être aimé, elle
commence à se souvenir des défauts et des manques de délicatesse de celui-ci,
en même temps qu’elle s’attache au mode de vie viennois. Fragilité des cristallisations.
L’Opale de
Saint-Antoine nous offre un éventail d’émotions contradictoires qui surgissent,
éclatent et s’éteignent à vive allure. Celles de l’amour, de la rancœur
ou de la nostalgie chez une héroïne qui a trouvé enfin un antidote à l’ennui
des voyages planifiés et des hôtels convenablement surannés. Un récit où tout
le monde cache bien son jeu, y compris le personnage principal, la ville-musée
qui n’a jamais dit son dernier mot.
Gemma Salem, L’Opale
de Saint-Antoine, Zulma, 2001
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