Jack Rosenblum rêve en anglais

À propos de Jack Rosenblum rêve en anglais, de Natasha Solomons

Je ne sais pas qui choisit les titres destinés aux traductions littéraires. Intriguée par celui-ci, car il me paraît convenir très bien au roman dont le titre anglais est Mr. Rosenblum’s List, je découvre une fable sur l’intégration choisie dans une autre culture, sujet des plus ennuyeux  prenant ici un caractère drôle et aventureux. Jack Rosenblum, dont le nom deviendra de manière facétieuse Rose-in-Bloom, ou plus simplement Rose, est un Juif qui réussit à fuir l’Allemagne, avec sa femme Sadie et sa fille, dans les années 1930. Sa découverte de l’Angleterre, où il reçoit une brochure destinée aux nouveaux arrivants, pleine de conseils pour se fondre dans le paysage britannique (la liste des coutumes et traits typiques du pays, qu’il enrichit par ses propres observations) est le début d’une passion obsessionnelle. Jack Rosenblum veut devenir un Anglais véritable ; et il y parvient dans un premier temps : apprendre la langue, s’habiller chez des tailleurs londoniens en vogue, fréquenter les endroits à la mode. Tout cela n'est pas simple, car il y a toujours un détail qui cloche. Il ne perd pas son accent et lâche des jurons allemands à la moindre contrariété. Ses tenues sont trop habillées ou inadaptées. Son rêve va pourtant trouver une occasion de se réaliser lorsque sa réussite professionnelle lui donne les moyens d’accomplir ce qu’il considère le signe distinctif d’un vrai gentleman anglais : appartenir à un club de golf.

Et les problèmes de Jack Rosemblum commencent à l’instant où il s’adresse aux clubs proches de Londres. Ses candidatures sont immédiatement rejetées, que ce soit par antisémitisme plus ou moins avoué, ou parce qu’on le considère un arriviste, ou simplement par une politique de « quotas ». Devant cette exclusion systématique, le tenace Rosenblum prend une décision inédite : il construira son propre parcours de golf, et cela le conduit à acheter une propriété dans le Dorset et à s’y installer avec sa femme. Sadie, de son côté, vit dans le souvenir de sa famille exterminée, des quelques photographies et du livre de recettes qui constituent sa seule mémoire.

La vie à la campagne n’est pas pourtant très reposante, même si les Rosenblum ont un style de vie semblable à celui de leurs voisins. Le projet de créer un terrain de golf se heurte à l’incrédulité, puis à l’hostilité des villageois, qui ne voient pas d’un bon œil ce bouleversement de leurs habitudes. Il y a aussi l’ignorance du citadin lâché en pleine nature, pas habitué au travail des champs, ni au paysagisme, écrivant des lettres au joueur et concepteur du green d’Augusta Bobby Jones, des lettres toujours sans réponse, devenues au fil des mois une sorte de journal intime. Mais la volonté de Rosenblum lui fera gagner aussi quelques amitiés, des hommes qui l’initient au folklore local, composé d’animaux fabuleux, comme l’improbable « cochon laineux », tout droit sorti d’un bestiaire moyenâgeux. On se demande si, avec ou sans parcours de golf, il ne deviendra enfin l’un de leurs.

Il y a un autre aspect intéressant dans ce livre : la superposition des identités, la conservation de rites du judaïsme et les souvenirs de l’ancien Berlin, cette superposition, ou parfois télescopage, montre l’impossibilité de faire table rase du passé, même quand il s’agit d’une histoire personnelle et collective douloureuse, ou quand le passé est devenu étranger à celui qui le porte avec lui, et ne peut plus être partagé ou compris. Vouloir à tout prix avoir un unique chez soi en gommant toute particularité, ou garder intact le mille-feuille de l’histoire ancienne représente un choix qui ne va pas sans renoncements.


Jack Rosenblum rêve en anglais, de Natasha Solomons, traduit de l’anglais par Nathalie Peronny. Éd. Le livre de poche 2012

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