Rouge sur Rouge
À propos de Rouge sur Rouge, de Edward Conlon
La grande ville est un lieu hostile,
incompréhensible, replié en petites communautés ou, au contraire, éclatant en
ramifications multiples. Ce portrait de New York en arrière-plan d’une histoire
policière s’attache au caractère unique de la cité, à sa respiration et à sa
vie collective, qui n’a rien d’harmonieux ou de prévisible – à moins que le
crime et la mort, dans un tel contexte- ne puissent être anticipés. Une
métropole qui ressemble très peu à une ruche, où le désordre fait davantage
penser à une guerre civile larvée, que seuls les embouteillages et autres
entraves à la circulation réussissent à empêcher.
Le lecteur fera la connaissance de deux
inspecteurs à la police de New York, deux figures qu’en principe tout oppose.
Nick Meehan est discret et respectueux des règlements. Sa vie s’étiole dans son
quartier d’origine, avec sa culture irlandaise lointaine et une famille de plus
en plus réduite. Son coéquipier Esposito a une vie familiale épanouie et
préfère, au travail, des expériences plus intenses, n’hésitant pas à frayer
avec les membres de deux gangs rivaux en plein affrontement pour obtenir des
informations. C’est une vision du rôle de la police aux frontières floues, où
les ennemis d’aujourd’hui peuvent devenir les alliés de demain. Esposito et Meehan vont incarner, pendant quelques
semaines, une de ces alliances fragiles et complexes, alors que Meehan joue cependant
un double jeu, car il a reçu la mission de surveiller discrètement son collègue.
Entre deux règlements de comptes entre dealers, des affaires de suicides et la
poursuite d’un violeur en série, l’intrigue semble se développer autour de
l’amitié entre les deux hommes, une amitié teintée de méfiance dans un milieu
délétère. Au fur et à mesure, la trame se resserre autour de quelques
personnages, et les humanise au-delà de leur condition de victimes ou de suspects.
Mais c’est surtout la singularité de la vie new-yorkaise qui est ici mise en avant. Avec les différentes strates de sa
géographie et de sa culture : la toponymie qui renvoie à des noms indiens ;
la persistance de traits culturels importés, d’Irlande ou d’Italie pour les
plus anciens, du Mexique ou d’autres pays d'Amérique centrale pour les plus récents ;
la possibilité de croiser, dans la même journée, les routines rassurantes qui
font penser à des villages paisibles (l’emploi courant de l’espagnol, les
commerces vendant des spécialités exotiques, la fréquentation de l’école), et
des explosions de violence à n’importe quel moment, pendant des funérailles,
par exemple. Le maintien de l’ordre ressemble à une triste utopie à laquelle
plus personne ne croit et qui est le plus souvent remplacée par une adaptation
résignée à de nouvelles lois, à la présence de nouveaux meneurs, pas très futés,
qui seront vite balayés par d’autres. Le roman s’attarde longuement à explorer
ces aspects, avec de nombreuses scènes d’intérieur, qui montrent des familles
dépassées ou gardant encore des illusions. Les différents microcosmes de New
York vus à travers le regard d’un auteur qui a fait partie pendant de
nombreuses années du NYPD et qui sait bien recréer leurs facettes étranges et
contradictoires.
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