Décolletés
à propos de Décolletés,
de Françoise Cœur et Jacqueline Cros-Vilalte
Qu'il ait
une forme triangulaire, arrondie ou carrée, qu'il soit ouvert ou
fermé, le décolleté attire l'attention. Cette pièce
d'habillement, ou plutôt cette absence d'habillement est le
véritable centre du vêtement féminin, ce que l'on devine au soin
que lui ont toujours apporté ceux qui créent la mode et celles qui
la suivent, la transforment ou la détournent. Dans la peinture,
notamment dans le portrait, le décolleté est le centre où
convergent les regards, une note claire et satinée au milieu
d'étoffes souvent lourdes et sombres. La peau est une texture
distincte qui, selon les époques apparaît couverte de voiles
translucides, ornée de rubans et de broderies, drapée dans du
velours ou décorée de bijoux : colliers, pendentifs ou
broches. Entre le Moyen Âge et le XXème siècle, l'histoire du
décolleté nous apprend beaucoup sur le rôle de la poitrine
féminine en tant que motif esthétique et dans l'histoire de l'art.
Entre séduction et exposition de symboles et objets précieux, entre
évocation de la maternité et mise en scène mythologique, le
décolleté rallie de multiples interprétations. Dans cet ouvrage,
centré sur l'histoire de la mode, les nombreuses variantes de cet
élément vestimentaire sont minutieusement étudiées de manière
chronologique, en partant de la sculpture et la peinture antiques
(égyptienne ou gréco-romaine) et jusqu'à l'époque actuelle.
Chaque chapitre inclut des évocations de ces modes anciennes, par
les stylistes les plus renommés des dernières décennies (surtout
des années 1990), ce qui permet de donner une certaine continuité à
l'ensemble.
Nous
apprenons que, depuis l'Antiquité, le buste inspire les créations
vestimentaires les plus originales et les plus sophistiquées. Drapé
ou corseté, le décolleté est d'abord une affaire de forme. Il
s'agit de cacher, de montrer ou de suggérer les seins, à l'aide
d'artifices qui leur donnent une allure rigide ou souple. Les images
de l'Égypte antique montrent des tournures en «v» aussi bien que
des bustes où le principal élément décoratif se trouve au niveau
de la gorge, sous l'aspect de colliers dorés et incrustés de
pierres, des résilles et des perles, laissant les seins nus. Le
corps sert de support à l’œuvre d'art. Cette caractéristique se
retrouve également dans l'iconographie grecque et romaine. Les corps
deviennent moins stylisés, plus réalistes, davantage couverts
aussi. Le drapé fait son apparition et transforme la silhouette la
rendant moins géométrique et plus fluide avec de nombreux plis,
mais aussi à l'aide de parures comme des fibules et des ceintures.
Le sein disparaît, comprimé sous des bandes. Au Moyen Âge, surtout
à partir du XIVème siècle, la robe telle qu'on la connaît
actuellement, serrée à la taille et pourvue de longues manches,
fait son apparition, et avec la robe, c'est le décolleté carré «à
la française» qui devient fréquent et que l'on peut voir dans de
nombreux tableaux. Les modes étant, dans ces siècles, et aussi
pendant les siècles suivants, essentiellement une affaire de cour,
lancées par des reines ou des favorites, les styles et la
signification du décolleté changent. La somptuosité des tissus et
des ornements au XVIème et XVIIème siècles donnera à la
silhouette la forme d'une pyramide. Si le costume masculin, sous
l'influence espagnole, s'assombrit et devient austère, les robes des
femmes se chargent de plus en plus de motifs brillants, de brocart et
de pierreries. S'habiller devient de plus en plus contraignant.
Cette préférence pour le somptueux et le rutilant va continuer tout
au long du XVIIIe siècle et jusqu'à la Révolution. Au milieu de
tous ces tissus précieux, la signification de l'ovale ou du carré
de peau nue reste énigmatique. La notion de pudeur étant assez
variable selon les époques, le décolleté n'est nullement l'apanage
des courtisanes. La fréquence de ce motif dans la peinture n'indique
pas son usage dans la vie quotidienne, mais plutôt dans des
contextes somptuaires et exceptionnels (bals, cérémonies). La seule
constante, à travers les âges semble être l'importance du cadre,
des contours et de la façon dont la poitrine est exposée. Entourée
de tulle et de mousseline au tournant du XIXème siècle, laissant
les épaules nues vingt ans plus tard, les modèles de base
(triangle, carré, ovale) connaissent des variations, et se démodent
pour revenir quelques années plus tard, mais ce qui demeure est la
volonté d'adapter le corps au vêtement, au moyen de structures
comme le corset, et plus tard le soutien-gorge qui en est une
déclinaison afin de lui donner l'allure svelte et figée d'une
statue et de de mettre ainsi en valeur.
Marie de Bourgogne, attribué au Maître de la Légende de Marie Madeleine |
Madame de Sévigné, par Lefèbvre |
Madame de Staël, par François Gérard |
Portrait de Madame X, par John Singer Sargent |
Décolletés, de
Françoise Cœur et Jacqueline Cros-Vilalte, Editions de la
Martinière, 2003.
Un de mes décolletés préféré, celui-ci :
RépondreSupprimerhttp://art.mygalerie.com/lesmaitres/evigee_lebrun/autport_1800_l.jpg
Je l'aime autant pour son décolleté que pour la grâce de l'artiste-peintre. Cet autoportrait est inspiré par Le chapeau de paille de Rubens :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Chapeau_de_paille
Celui du portrait de la fille de Mme de Sévigné est tout aussi intéressant, avec un voile assez léger qui couvre la poitrine. Elisabeth Vigée-Lebrun a traversé des modes très différentes. De portraitiste de Marie-Antoinette au style d'inspiration antique qui était à la mode au début du XIXe siècle. Il me semble qu'il existe un autre autoportrait, accompagnée de sa fille, où elle apparaît habillée dans ce style. Ce qui m'intéressait dans le sujet était le rôle central de ce vide, de cette mise à nu, entourée de décorations de toute sorte, comme si la peau faisait aussi partie de l'habillement. C'est assez amusant de voir des décolletés qui seraient osés même aujourd'hui, sur des robes qui cachaient le reste du corps, mais aussi qui lui donnaient une forme. C'est également le rôle du corset, dont la lingerie actuelle ne cesse d'être un avatar.
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