Il faut tenter de vivre
à propos de Il faut
tenter de vivre, de Eric Faye
Ne reste-t-il vraiment rien, pourtant, d'une
tentative d'évasion Un esprit doit conserver quelque part une trace
de cette grande bourrasque océanique -la liberté-, un peu comme,
sur le sable, après le reflux de la vague, subsiste une frise
d'écume. (p. 146) Les personnages de ce
roman ressemblent aux ombres que l'on peut croiser, la nuit,
sur un quai de gare ; des silhouettes un peu floues, difficiles
à saisir dans leur mouvement, et pourtant captivantes. C'est ainsi
que se présente au narrateur la figure d'une jeune femme rencontrée
dans une soirée parisienne au milieu des années 90. Sandrine
l'intéresse d'emblée, non pas comme une amoureuse probable, mais
comme un motif romanesque, car il pressent la valeur littéraire de
l'histoire accidentée de la jeune femme, où abondent les failles et
les zones obscures. Sandrine lui échappe et revient pour s'en aller
de nouveau, à l'image d'une vocation d'écrivain qui connaît une
éclosion tardive. Il apprendra ainsi l'enfance en clair-obscur et
les rêves d'une petite fille brimée par une mère jalouse, ses
essais d'acclimatation à un milieu désespérément terne, ses
inévitables fugues qui la mèneront plus tard à l'impasse dans
les marges de la société. Entre arnaques sentimentales et fausses
identités, Sandrine se perd à chercher le bonheur dans de l'argent
trop vite dépensé et des relations bancales. Le narrateur observe,
avec un regard à la fois bienveillant et désolé, ses nombreuses
métamorphoses, ses tentatives de tout recommencer après l'échec,
en changeant de pays, d'amis et d'amants. Pour éviter d'être
envoyée en prison, Sandrine part en Belgique, mais c'est un
isolement d'une autre sorte qui débute là-bas, dû à la peur
d'être démasquée, et au besoin d'utiliser un nom d'emprunt. La
liberté apparaît comme une affaire de temps, comme une longue
attente de l'oubli ; à l'opposé de cette vision chronologique
se dessine une recomposition de différentes époques et expériences,
afin de retrouver une image de soi reconnaissable, sinon choisie, du
moins acceptée. Toute révolte n'est pas libératrice, cependant
l'énergie dépensée pour s'émanciper ne se perd jamais, elle se
transforme en leçon de vie.
On retrouve ici comme un écho des mots de Marguerite
Yourcenar, Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait
le tour de sa prison ? La
recherche de parcelles de liberté et l'exploration d'identités
fragmentées restent de fascinants sujets de réflexion.
Il faut tenter de
vivre, de Eric Faye, Stock, 2015
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