Entre photographie et peinture : le mouvement pictorialiste
À la fin du XIXe
siècle, la photographie était devenue une activité largement
connue de nombreux publics, notamment pour sa valeur pratique et
documentaire. Les arts plastiques ayant pris à l'époque une
direction contraire à l'esprit réaliste, avec, notamment,
l'impressionnisme et les débuts d'une peinture intentionnellement
opposée à tout académisme, certains genres picturaux étaient
tombés en désuétude, comme les tableaux historiques. La
représentation fidèle de la réalité appartenait désormais
davantage au photographe qu'à l'artiste. Aussi, l'appareil-photo, de
plus en plus compact et facile à utiliser, intégrait les bagages de
nombreux voyageurs, et l'image pittoresque ou exotique photographiée
remplaçait de plus en plus souvent le tableau, même si le
photojournalisme n'existait pas encore, du fait de l'impossibilité à
cette époque d'imprimer ensemble le texte et les images, ces
dernières devant être reproduites, du moins jusqu'au début du XXe
siècle sous forme de gravures. Entre 1890 et 1914, à l'aspect utile
et documentaire de la photographie s'ajoute cependant, peut-être en
réaction à cette banalisation de techniques surtout utilisées de
manière scientifique et commerciale, une dimension artistique, qui,
sans être nouvelle, donne aux œuvres une ouverture sur d'autres
arts. L'approche n'est pas nouvelle, car les débuts d'une
photographie à vocation artistique se situent en Angleterre dès les
années 1850 avec des figures comme Julia Margaret Cameron, Lady
Elizabeth Eastlake ou Peter Henry Emerson. Il y était question de
recréer des atmosphères, des mouvements, des climats ou des
émotions particulières ; d'ajouter l'empreinte de l'auteur
au-delà de la reproduction de ce que l'on voit. Cela peut
s'appliquer aussi bien au paysage qu'au portrait ou à la
représentation d'une scène où le spectateur doit trouver un ou des
fils narratifs possibles. C'est cette approche de photographie en
tant que moyen d'expression artistique, qui deviendra l'aspect
essentiel du mouvement pictorialiste. Le mouvement ne possède pas de
manifeste ou d'école définie, et il s'est développé au niveau
international, en France, Allemagne, Grande-Bretagne ou aux
États-Unis, avant de disparaître avec la Première guerre mondiale.
Il y a eu cependant des théoriciens de ce courant esthétique qui
étaient également des artistes, comme Robert Demachy, Constant Puyo
et Heinrich Kühn.
Jonction entre
plusieurs arts, fantaisie, réinterprétation du réel, mise en
scène, les traits de la photographie pictorialiste privilégient le
flou, la composition et les thèmes qui évoquent la peinture
classique, un certain impressionnisme dans la conception du paysage,
qui peut être désormais brumeux, crépusculaire ou nocturne, et
inclure ainsi des effets de lumière inattendus. Les techniques
employées pour créer ces ambiances sont très nombreuses et
montrent bien l'inventivité et le caractère unique des ajouts et
manipulations : papiers avec différentes textures pour créer
des aspects plus lisses ou granulés, application de gomme
bichromatée, de charbon, d'huile de pigments, retouches manuelles
sur le négatif, entre autres. Le goût de l'expérimentation
technique caractérise ces artistes voulant explorer d'autres voies.
L'esthétique pictorialiste s'est développée ainsi dans le très
stimulant milieu artistique européen de la fin du siècle, à
Vienne, à Paris ou à Londres, où le groupe The Brotherhood of
the Linked Ring a inauguré le premier salon de la photographie
en 1894, dans l'intention d'en faire, sinon un art à part entière,
du moins une activité purement esthétique. Mais c'est surtout à
New York que le pictorialisme s'est épanoui, notamment avec le
groupe Photo-Secession, fondé par Alfred Stieglitz, Clarence White,
Gertrude Käsebier et Edward Steichen, et inspiré des courants
européens de la même époque, mais aussi la revue Camera Work, ou
la salle The Little Galleries of Photo-Secession. Ce
développement américain marque aussi la fin du mouvement,
rapidement concurrencé par d'autres tendances de l'art moderne. Son
caractère original attendait d'être redécouvert à la fin du XXe
siècle.
Inma Abbet
Livres et sites internet
The Focal Encyclopedia of Photography
publié par Michael R. Peres, Focal Press, 2007
Quelques œuvres de Robert Demachy
New York et l'art moderne. Alfred
Stieglitz et son cercle (1905-1930)
Julia Margaret Cameron, Study of Beatrice Cenci. May Prinsep (modèle). Albumen print,1866 |
Henry Peach Robinson, Fading Away, 1858 |
Clarence Hudson White
(1873/1925), "Morning", 1908
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Heinrich Kühn, Stilleben, 1908
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Edward Steichen, « The Flatiron
Building », 1904
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(Edward Steichen (1879–1973):
“Moonrise-Mamaroneck,New York” (1904)
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Robert Demachy (1859-1936), "Mignon", 1900
Images : Commons Wikimedia (domaine public)
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