Suite inoubliable

Suite inoubliable


à propos de Suite Inoubliable, de Akira Mizubayashi


En 1945, peu avant la capitulation du Japon, mettant fin à la Seconde guerre mondiale, Hortense, une luthière française vivant à Tokyo, accepte de sauvegarder un violoncelle de grande valeur. L'instrument, un Goffriller appartenant à une fondation européenne, lui a été confié par son ami Ken jeune violoncelliste japonais qui se voit obligé de rejoindre l'armée. Ken a reçu une formation musicale en France et en Suisse, où il a rencontré des grands compositeurs et interprètes et a connu une vie consacrée au travail et remplie de bouleversements esthétiques, avant de voir sa brillante carrière interrompue de façon brutale, car il a dû rentrer dans son pays miné par le nationalisme et le bellicisme, et participer à une guerre qui lui paraît totalement étrangère et éloignée de ce qui a été son monde. A la même époque et dans la même ville, un médecin pacifiste voit sa famille pareillement menacée par la tournure prise par le régime en place, et par la censure concernant les opinions qui mettent en cause la politique officielle. Entre le sauvetage d'objets précieux et la défense de la liberté d'expression, les personnages assistent à l'effondrement du pays et à l'avènement de l'ère moderne, dans un oubli apparent des souffrances du passé.


Ces histoires parallèles s'effacent dans le temps et nous retrouvons de nos jours, à Paris, la jeune luthière Pamina, descendante d'Hortense, qui reçoit un violoncelle ancien à réparer : le problème serait une « fracture d'âme », curieux terme de lutherie qui désigne une fêlure ou une cassure dans la table ou dans le fond d'un instrument. Comme tous les personnages du roman, Pamina au prénom mozartien baigne dans l'amour de la musique depuis toujours. Elle essaie de comprendre, à l'aide de son patron et ami, et en interrogeant son père, l'énigme de cet instrument, et le lien qu'il pourrait avoir avec son histoire familiale et avec le Japon. Il est question, dans ce roman, de nombreux objets qui ont des langages propres et secrets, allant au-delà de ce qu'ils sont censés transmettre. Cela est évident pour les instruments de musique, qui ont une histoire qui dépasse celui qui le fabrique ou qui le restaure, une histoire qui concerne les compositeurs et les interprètes, mais cela vaut aussi pour les vieilles lettres et photographies, les inscriptions et les cachettes. Pourtant les objets ressemblent le plus souvent à des langues étrangères, et leur déchiffrage nécessite non seulement des compétences et un certain acharnement, mais également l'appréciation du rôle joué par ces objets et de leur valeur. Ainsi, en les conservant conservés ou en les restaurant ils gardent intacte leur capacité à évoquer ce qui n'existe plus. L'intrigue de ce roman a lieu sur deux continents, se partage entre deux époques, voire entre plusieurs, puisque les allusions à l'époque de Bach y ont aussi leur place ; entre deux mondes que tout oppose, du moins en apparence, car dans les deux on découvre la puissance et la persistance de l'amour de la musique, qui est un langage universel.



Akira Mizubayashi, Suite Inoubliable, Gallimard 2024






Texte : Inma Abbet



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